Envoyés une troisième fois sur un territoire que plus personne ne réclame, deux explorateurs reviennent dans ce qu’on dit être les restes d’un ancien royaume. Autour d’eux, des collines déchiquetées, des fumerolles timides, et ce silence qui s’installe quand la science ne sait plus quoi mesurer. Fumarola s’inspire de cette zone de transition : entre terre et vapeur, mémoire et oubli
Publié par le label slovaque mappa, l’album projette en son accompagnement un récit insolite : deux explorateurs décalés, relégués à un territoire marginal, scrutent des fumerolles, prélèvent des échantillons, expérimentent l’absence de but. Le texte-cadre que nous découvrons amplifie cette sensation d’abandon et de vertige. Il ouvre sur des perspectives : la musique comme archéologie, le lieu comme partition, l’errance comme méthode. On se demande ce que signifie « découvrir » quand le paysage semble aussi vieux que le monde, et ce que reste-t-il à inventer lorsqu’on sent que personne ne vous attend. Un disque ambient où les instruments de Kult Masek & Petr Vrba dialoguent avec les souffles du monde, et où l’exploration devient une forme d’écoute…
« Trois fois sur le terrain » : répétition et relégation

Ils sont partis, à nouveau. Trois fois. Le sentiment de revenir dans un décor identique, mais chaque fois un peu plus vide, un peu plus « forsaken ». Le lieu ne figure sur aucune carte ordinaire : « ni est ni ouest, ni nord ni sud ». Cette absence de repère géographique se double d’une absence de reconnaissance sociale. Le récit mentionne : « comme si quelqu’un essayait de se débarrasser d’eux ». Cette expédition devient punition, ou sideline. Et pourtant, ils y vont. Ils prennent des échantillons, observent, dorment à la berge. On croit entendre dans ces lignes un écho de la quête : « qu’est-ce qu’on doit vraiment trouver ici ? ». La réponse n’est jamais donnée ; l’ennui lui-même devient un signal.
Le paysage comme témoin d’un royaume oublié. « Ils disent qu’il avait autrefois été un royaume, quelque part dans le cœur de l’ancien continent. » Ce fragment capte cette idée de vestige. Autrefois puissance, aujourd’hui ruines éparpillées. Les collines sont « jagged hills sprouting here and there from the ground ». Le lieu n’est pas seulement géographique : il est historique, archéologique, chargé de mémoires. Les deux explorateurs marchent parmi les traces de ce qui a été, et ne l’est plus. Le paysage devient présence absente. Ils évitent les fumerolles, ils prélèvent, mais surtout ils regardent. Et ce regard est plein de mélancolie.
« Dans cet album, ce n’est pas la lave qui nous intéresse, mais ce qu’il reste quand tout s’est refroidi : le souffle, la mémoire, la vibration. » – Cyprien Rose (Houz-Motik)
Fumerolles, volcans, exploration : le dispositif musical

« Ils évitaient les hot fumes d’un volcan actif. Comparé à ceux d’autres planètes, ceux-ci étaient plus comme des petits souffles murmurés. » Ici, la géologie devient métaphore musicale. Le mot « fumarola » (fumerolle en italienn espagnol) ne désigne pas uniquement une émission de gaz : il suggère le souffle, la voix faible du monde, un lieu où quelque chose se dégage, se relâche doucement. Dans le livret, on lit « Track 8 stretched and manipulated by Trauma », « Vocals on tracks 6 et 7 ». Le dispositif sonore semble construire un univers où la dérive faible, la chaleur indirecte, le passage persistant remplacent l’éruption spectaculaire. Le choix d’un terrain marginal, d’une activité discrète, se reflète dans le geste artistique. Scientifique et musical se rejoignent : prélèvement, manipulation, écoute.
« Ils avaient l’impression d’être entrés dans une scène d’un film qu’ils avaient entrevue… un conquérant fou sur un radeau en plein fleuve en furie ». Ce fragment fait office de rapt visuel mais aussi de glissement de contexte. Le film n’est pas nommé : il est brisé, fragmentaire. Comme le paysage, comme la mission, comme la musique. On se souvient vaguement, on reconstitue mal. Le texte joue sur ce que l’on ne voit pas, ce dont on ne se souvient que par bribes. La mémoire fait défaut. Et dans cette faille, naît l’espace pour l’imaginaire. Le conquérant en radeau, film d’époque, jungle, sud de la planète, tout cela est hors champ, mais il hante. Il renvoie à une autre expédition, une utopie, un chaos maîtrisé. En s’enfonçant dans ce territoire silencieux, à l’orée de ruines et de murmures géologiques, la musique de l’expédition devient écoute attentive : entendre les fumerolles, les pierres, le souffle du monde. Et, à la lisière de l’oubli, il reste la promesse que tout lieu, même oublié, contient encore une note à découvrir.