Album Totems & Tabous, de Fred Berthet & Snem K

Fred Berthet & Snem K – Totems & Tabous

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Avec Totems & Tabous, les musiques électroniques et la langue de Molière font bien plus que flirter… Explication de texte avec Snem K

Disponible sur toutes les plateformes de téléchargement depuis le 07 février 2020, Totems & Tabous est une odyssée musicale où l’on croise des créatures fantasmagoriques évoluant sur des cadences hypnotiques, mais pas seulement, Cette version moderne d’Homère se déroule majoritairement en français, et ce n’est pas pour nous déplaire, depuis quelques années l’électronique hexagonale fait fi d’une lointaine frilosité avec l’emploi de la langue française !

Longtemps cantonnée à des instrumentaux étoffés de samples de voix, ou de trop rares exceptions de titres enchanteurs, tel le Tout est Bleu d’Ame Strong S.A. en 1993, une nouvelle génération semble désormais assumer son époque et sa langue, notamment via la pop. Cependant, si Totems & Tabous est certainement l’une des meilleures surprises de ce début d’année, on la doit à Snem K et Fred Berthet, deux artistes loin d’être tombé de la dernière pluie…

La rencontre du texte et du son

L’aventure commence il y a 10 ans ! À l’époque, avec la sortie du titre Fate, le label marseillais La dame Noir scelle le tandem sonore entre Snem K, auteur chanteur, et Fred Berthet, producteur également connu pour ses edits sous le pseudonyme DJ Steef, et plus particulièrement pour son aventure au sein du célèbre trio Troublemakers, dont de délicieuses effluves accompagnent cet opus. De leurs échanges, naissent de nombreuses histoires et 10 titres d’entres-elles composent l’excellent Totems & Tabous.

Non sans ironie, les textes et les voix de Snem K. habitent savamment les paysages oniriques de Fred Berthet, faisant de cette version moderne d’Homère la photographie d’une société parfois glaciale, mais non dénuée de fraternité. Assumée, et sincère, cette quête poétique sonne un peu comme la rencontre improbable entre Jules Verne et Virginie Despentes dans un synthétiseur modulaire !

Comme humanité et animalité, conscience et instinct se complètent et sont indissociables (Snem K).

Totems & Tabous, animalité et humanité

Houz.Motik. Dans les titres, les textes et leur mise en musique, l’animalité est très présente dans Totems & Tabous. C’est une thématique qui vous tenait à cœur ?
Snem.K. Il est vrai que l’animalité est un fil conducteur dans l’album, mais ce n’est pas une volonté, plutôt un outil rhétorique qui permet de saisir rapidement un comportement ou une intention. Le premier titre chronologiquement, Fate, qui décrit l’obsession comme un serpent a marqué le début de notre collaboration, mais il a également quelque part tracé la voie à suivre. Le ton était donné. D’autres créatures sont venues s’ajouter à ce bestiaire pour décrire les travers humains en quelques mots.

H.M. Pensez-vous que l’humanité doit davantage assumer sa part d’animalité ? La vivre en conscience, plutôt que par instinct ? 
S.K. Notre humanité existe-t-elle vraiment ? En quoi sommes-nous si différents des animaux ? Nous sommes des animaux qui ne se l’avouent pas. Des grands singes qui ont découvert le bien et le mal et qui ne s’en remettent toujours pas ! L’idéal humain nous en sommes si loin… Et au rythme où on va, je doute qu’on y arrive un jour ! Il faut bien sûr en être conscient pour permettre à l’humain de progresser et l’instinct de survie doit nous guider. Comme humanité et animalité, conscience et instinct se complètent et sont indissociables.

H.M. Faut-il s’affranchir de ses démons ? 
S.K. Je préfère les distraire, les faire danser car, sans eux, pas d’humanité, pas d’évolution possible. C’est ma manière de les faire taire et de gagner le combat.

Composer, écrire, écouter

H.M. Quelle est votre relation avec l’écriture ?
S.K. La même qu’avec la musique, ce n’est pas un choix ! C’est une évidence et un exutoire. Avec l’écriture, je peux me décharger de tous mes masques, de toutes mes pensées. La musique me parle, particulièrement celle de Fred, et je lui réponds avec mes mots et ma voix. Une fois mes démons couchés sur papier, je peux les contempler… Enfin silencieux ! Une sorte de photo de mon âme qui appartient déjà au passé.

H.M. Fate, c’est le premier titre que vous avez réalisé ensembles, il y a 10 ans. Quel est votre processus de création ? Un titre par an ? Blague à part, la musique est-elle réalisée à partir des textes, les textes sont-ils inspirés par la musique, avez-vous d’abord échangé vos idées afin d’avancer dans vos travaux respectifs ? 
S.K. Fred m’envoie un instrumental complet, je laisse le morceau m’inspirer les paroles et le chant. Le processus d’écriture est en général assez rapide et c’est une bonne chose, car cela laisse libre cours à la spontanéité. L’intention n’est pas toujours claire au moment de l’écriture, elle a plutôt tendance à apparaître au fil du processus. Ensuite, nous enregistrons les voix et Fred procède à des ajustements.

H.M. À partir de quand, vous êtes-vous dit que vous souhaitiez en faire un album ?
S.K. À partir  du moment où on en avait beaucoup ! Tous les morceaux composés n’ont pas été retenus, loin de là.

Fidèle à l’inspiration

H.M. Si l’on assiste à une évolution ces dernières années, les albums de musiques électroniques dont les titres sont interprétés en français sont encore rares. Toutefois, votre disque présente un texte en anglais, avec une référence à Edgar Allan Poe. Pourquoi ne pas l’avoir fait en français ?
S.K. Sûrement parce que le démon du jour me parlait anglais ! En fait, le texte et la langue s’imposent d’eux-mêmes en fonction de la musique. Je suis français et espagnol, bilingue depuis l’enfance, et l’anglais est une langue que j’apprécie. C’est la musique qui m’inspire, certaines musiques et chants me semblent correspondre davantage à une langue qu’à une autre, mais c’est purement subjectif. Poe est un auteur anglais, et même si la traduction de ces textes faite par Baudelaire est en soi excellente, ce n’est que justice de chanter dans la langue de celui qui vous a inspiré.

H.M. Bien que la musique soit différente, le format de Totems & Tabous présente une sorte de familiarité avec l’album Présence Humaine de Michel Houellebecq. Est-ce l’une de vos inspirations ?
S.K. Au risque de passer pour un ignare, je ne connais pas du tout l’œuvre de Michel Houellebecq, ni en littérature, ni en musique. Je m’en vais rapidement écouter l’album Présence Humaine du coup, ça semble être l’entrée en matière adéquate pour découvrir cet auteur. Je sais juste qu’il a gagné des prix littéraires et c’est toujours flatteur, dans ce cas, d’y voir un parallèle.

H.M. Totems & Tabous est l’accomplissement de dix ans de collaboration. Est-ce un projet que vous souhaitez développer davantage ? 
S.K. Je n’y vois aucune opposition, bien au contraire.

H.M. Allez-vous tourner ensemble pour ce disque ?
S.K. C’est avant tout un travail de studio et nous habitons maintenant dans deux zones éloignées, Marseille pour Fred et Paris pour ma part. Ce sera donc compliqué, à moins que le public ne nous réclame à cor et à cri ! L’idée est séduisante.

Fondateur de Houz-Motik, coordinateur de la rédaction de Postap Mag et du Food2.0Lab, Cyprien Rose est journaliste indépendant. Il a collaboré avec Radio France, Le Courrier, Tsugi, LUI... Noctambule, il œuvre au sein de l'équipe organisatrice des soirées La Mona, et se produit en tant que DJ. Il accepte volontiers qu'on lui offre un café...

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