Bien plus qu’un simple support musical, les cassettes audio ont également été le vecteur d’une culture érotique unique
Objet culte, le disque vinyle est vénéré par des aficionados comme par des néophytes ; 13 millions d’unités vendues en 2016. Ceux qui sont nés avec le digital l’adorent, ceux qui avaient vendu leur collection à l’arrivée du CD chinent désormais les oeuvres de leur épiphanie. Exhumé des oubliettes par des diggers aux quatre coins du monde, le porno vintage bande encore en analogique. Au coeur de cette chasse aux oeuvres pornophoniques, le projet Archeotron-XXX présente sa collection de K7 audio classées X – moins de dix-huit ans s’abstenir !
Les nouvelles vies de la cassette audio
S’il y a bien un autre format qui n’est pas près de disparaître, c’est la K7. Bienheureux sont les propriétaires d’un magnéto ou un véhicule équipé d’un lecteur car si l’on en trouve de temps en temps sur des étals de marchés et de supérettes, la cassette audio se refait une place remarquée dans les bacs des disquaires. Le marché n’est pas comparable à celui du vinyle mais il est en nette progression, environ 130K exemplaires vendues en 2016, soit 55K de plus qu’en 2015, dont 43% par le biais d’Internet ! On peut donc trouver des inédits et des rééditions, par exemple environ 3000 copies de Purple Rain (Prince) ont ainsi été écoulés.
On trouve de tout chez les amoureux de la K7, ceux qui ne jurent que par les nouveautés, d’autres qui prônent la réédition de grands standards et certains, à l’image de l’artiste Alexis Malbert (Tapetronic), sont des considérés comme des spécialistes qui font bande à part. L’émission Tracks d’Arte lui avait d’ailleurs consacré une partie de son sujet sur les K7eurs. La K7 est donc une jolie petite niche de passionnés, si vous êtes en possession de cassettes audio dont vous ne savez quoi faire, ou si vous connaissez des personnes susceptibles d’en cacher quelque part, n’hésitez pas à le contacter. Collectionneur de sons en tous genres, Alexis affectionne les curiosités sur différents supports, et en distille quelques perles via son magazine Discuts.
Il y a eu pas mal de boîtes de production et de distribution, mais vu le sujet c’est plutôt obscur, en fait il y a assez peu de traces laissées.
En parlant de miche, niche, de nombreuses cassettes audio classées X ont été éditées dans les années 70/80, et distribuées sous le manteau, dans les stations-services et les sex-shops. Grâce à la curiosité et à la ténacité de collectionneurs comme Alexis, de nombreux trésors refont surface. Ces objets rares, il les dégote dans les vides greniers ou dans les poubelles, parfois il les achète dans la plus grosse décharge connue sur Terre et dans le cloud : Internet.
Il raffole tellement de ces déchets audio qu’il a le projet de faire une édition spéciale : “Les MP3 poubelles d’Internet”. Au cours de ses nombreuses collectes, Alexis découvre quelques oeuvres X éditées dans les années 70-80 sur K7 audio. Au fil des années sa petite collection augmente, il décide alors d’archiver ses trouvailles sonores sur Archéotron-XXX, son blog dédié à ces fumeuses “K7 pornophoniques”. Difficile d’obtenir beaucoup d’infos sur ces oeuvres, car elles n’accompagnent pas nécessairement une K7 vidéo ou un magazine…
Un patrimoine exceptionnel
Tout ce catalogue X audio représente une matière première non négligeable pour ses expériences, Alexis souhaite cultiver ce “côté un peu obscur”, avec l’idée de créer un label éphémère afin de rééditer ces oeuvres en série limitée. Sa première rencontre avec une K7 X ? Il ne s’en souvient pas très bien mais il en prend soin : “c’est quand même un ovni dans le genre !” Puis il en trouve dans le sud, à une époque où il visite régulièrement un dépôt-vente du style Secours Populaire, “un truc un peu caché, un gros foutoir incroyable”. Il y déniche des trucs pas cher, des K7, des vinyles et des CD. Un jour il apprend qu’ils vont se débarrasser des K7 car elles ne se vendent pas, “visiblement j’étais le seul à en acheter”.
Chagriner à l’idée que de potentielles pépites partent à la benne, Alexis leur propose d’acheter le stock pour 100 Euro. Environ 4000 K7 sont ainsi entassées dans sa voiture qui déborde de cartons et de caisses en plastique : “Je récupère souvent des cartons de K7 comme ça, chez moi j’en ai beaucoup, il y a de tout. Après il faut trier, et dedans j’ai trouvé des perles, dont quelques K7 X”. Certaines productions, comme celles de K7 Eagles, étaient vendues par correspondance, il en existait également sur vinyles 30cm. Un reportage d’Arte Radio sur les Disco Cassex en extrait des moments forts, “c’est de la pornophonie !”
Il y en quand même beaucoup plus de titres qui sont sorti en K7, c’est moins cher à produire que le vinyle (…) J’en avais trouvé deux vraiment obscures, j’en avais jamais entendu parler, les papiers sont mal imprimés et les K7 n’ont même pas de stickers. C’est édité dans le sud de la France, à Perpignan je crois, en fait il y a juste un numéro de Siret avec marqué Perpignan (rires), c’est génial quoi ! Il y a tout un catalogue indiqué derrière, donc il y en a plein, au moins une cinquantaine…
Interview
Houz-Motik. Les sociétés de production de films X ont donc varié leurs activités, quelle description ferais-tu de ces fameux contenus ?
Alexis.Malbert. les K7 X ont un contenu atypique pour de l’audio, mais le contenant est tout aussi intéressant car il a bénéficié d’un réseau de distribution différent de ceux pour la musique, il y a donc plein de choses à dire là-dessus. A priori c’était surtout vendu dans des sex shops et des clubs échangistes, mais aussi des stations-service, la cible était probablement les routiers (rires).
H.M. Ce n’était pas vendu avec des magazines ?
A.M. En France, je n’ai jamais trouvé de magazine qui allait avec, à priori c’était vendu seul. Cela s’est fait un peu avec des disques, aux États-Unis par exemple, il y en a eu pas mal de Magazines X vendus avec des Flexi Disc. J’ai aussi récupéré deux K7 X en Espagnol, celles-ci étaient vendues avec des magazines mais je ne les ai pas, ce sont des K7 produites par une société de téléphone rose, ils en ont sorti quelques-unes avec des histoires racontées par leurs hôtesses. Je les publierais prochainement sur le blog, elles ne sont pas mal ! En Espagne ils ont sorti quelques trucs, l’autre jour j’en ai loupé sur Internet, quelqu’un en vendait tout un lot, j’ai enchéri, mais j’ai perdu l’enchère…
Ce qui fait le charme de toutes ces K7 c’est le verbe, il n’est pas négligé contrairement au porno d’aujourd’hui, qui est plus grossier et joue davantage sur le visuel. Avant il y avait quand même de sacrés dialogues, même si c’était écrit à l’arrache avec une patte lourde, il y a des textes avec vachement d’humour, c’est tout le charme de l’époque, ça fait presque partie de la littérature (rires). On trouve cela aussi dans des films mais je ne suis pas un expert dans ce domaine, je vous conseille d’en apprendre davantage avec le Dictionnaire des films français pornographiques et érotiques, de Christophe Bier.
H.M. C’est bon pour la paix des ménages de rentrer à la maison avec 4000 K7 audio ?
A.M. Ce stock-là est caché dans une cave chez des copains dans le sud (rires), j’ai trié et j’ai ramené chez moi l’essentiel, mais oui, j’en ai plein qui traîne encore ailleurs. Après j’ai mon atelier, et je mets tout dedans, ça traine pas ailleurs comme ça. C’est vrai que ce qui m’intéresse c’est plutôt des trucs un peu trash qui tombent aux oubliettes. Mais bon j’aime aussi la bonne musique, et c’est nécessaire dans mon domaine, car pour trouver les mauvais trucs faut connaître les bons, sinon tu te fais vite avoir. Mais je ne m’aventure pas trop dans la collection de vinyle même si c’est très tentant. J’en ai, mais pas trop, sinon c’est vite chronophage et c’est un gouffre financier, j’y mettrai tout mon fric. Je préfère me spécialiser dans la recherche de trucs plus obscurs…
H.M. Tu vis de tes travaux et de tes ateliers auprès de différents publics, tu donnes des concerts et tu peaufine tes créations que tu valorises avec le magazine que tu fabriques… Parle nous de ce travail pour Discuts.
A.M. C’est un magazine trimestriel, autour du son et de l’objet sonore. Au départ j’ai fait un blog en tâtonnant, et avec mes recherches sur les différentes sortes de support de reproduction sonore, les formats habituels, CD, K7, vinyle mais aussi ceux passés aux oubliettes, je me suis rendu compte qu’il existait vraiment beaucoup de choses. Par exemple des choses sorties par des marques particulières qui ont voulu faire leur propre format et expériences. Je m’intéresse à cela plutôt dans une dimension art populaire et industrielle, l’artistique également, mais c’est autre chose et il y a plus d’experts.
Je suis focalisé sur l’aspect populaire, l’idée est d’en faire une source un peu sortie des détritus, une matière première d’inspiration et de création. J’avais envie de partager ces matières avec ceux que ça intéresse, que ce soit des artistes, des curieux, des chercheurs ou des passionnés… Comme ma femme tient une imprimerie, on s’est dit que ce serait bien d’en faire une édition imprimée, du coup on travaille pas mal ensemble là-dessus, je produis tout le contenu et elle le contenant, avec le choix des papiers et la mise en page, ce qui est possible ou pas dans la création.
J’avais aussi envie d’ajouter un gadget pour le petit plus, car aujourd’hui on trouve déjà beaucoup d’infos gratuitement sur le net. On est dans la création, le livre d’artiste est au format magazine. L’idée c’est d’aller au-delà du papier, comme ça parle beaucoup d’objets sonores, cela permet de réfléchir à l’objet mag que l’on a entre les mains, comment on le manipule, comment on lit l’information… Il y a bien sûr plein de paramètres qui se greffent dessus, comme les contraintes de budget.
Si je fais un mag un peu en pop-up avec de l’intégration, il faut que cela reste pratique, que cela ne revienne pas trop cher, parce que c’est vendu pas trop cher. Il faut que ça rentre dans l’enveloppe et que cela ne pèse pas trop lourd. Il faut aussi trouver les bonnes idées… Chaque numéro a son propre thème, au début il y en avait deux ou trois par numéro, mais je préfère me concentrer sur un sujet. Du coup j’accumule plein d’info dans mes carnets, et quand j’ai assez de matière je traite le sujet.
H.M. Cela te permet de diriger tes recherches sur des choses précises ?
A.M. Au départ je cherchais des trucs dans le monde entier et il y a un tri de fou à faire, aujourd’hui je me cantonne finalement à tout ce qui est francophone. Je trouve ça très intéressant de développer un « répertoire francophone », ça met un peu un cadre à tous mes travaux. Pour tout ce qui est anglophone, aux USA par ex, dans les registres archéologie sonore et des médias, recherche d’objets un peu obscurs au niveau du son et de la musique, ils ont déjà tous les réseaux, ils sont nombreux et ils ont bien avancé ! Même si ça m’intéresse beaucoup je leur laisse leur matière, et puis avec la francophonie on peut voyager dans le monde entier, ce n’est pas limité à la France, j’ai par exemple pas mal de trucs québécois, j’y ai vécu un petit peu. J’ai aussi des trucs belges, il y a également des choses en Afrique…
H.M. Qu’as-tu rapporté du Québec ?
A.M. J’ai ramené toute une collection de K7, j’en avais d’ailleurs fait une édition spéciale sur un montage d’une heure. À l’époque les gens se débarrassaient de leurs répondeurs téléphoniques à K7, j’ai récupéré plein de matière à l’armée du salut, c’est l’équivalent des Emmaüs mais à dimension américaine, soit un sacré foutoir…
C’est un peu là où j’ai commencé mes recherches, j’ai trouvé plein de choses, je me suis vite rendu compte qu’il y avait moyen de trouver des matières premières sonores dans les rebus. J’ai donc récupéré plein de K7 audio de répondeur toutes remplies de messages, j’étais comme un fou, je rentrais chez moi les écouter. Ce sont forcément des enregistrements uniques, j’ai des trucs de dingues ! Il y a parfois même quelques K7 avec des trucs un peu salaces…
H.M. C’est de l’archéologie sonore, et sociale, en fait…
A.M. Oui c’est vraiment intéressant, les gens ont enregistré plein de trucs avec les K7, ils se sont fait leurs propres mixtapes, et il y en a sur Johnny Hallyday par exemple. Ce n’est pas toujours hip-hop ou de la musique branchée, c’est juste un outil qui est utilisé comme ça. Ils se sont aussi beaucoup enregistrés, les gamins notamment. Tu as également des corps de métier comme les médecins qui pratiquaient l’enregistrement, et ça, moi je récupère tout !
Sur la dernière que j’ai récupéré, c’est un gars qui parle à sa mère qui est hospitalisée, c’est une petite conversation qui dure une heure dans la chambre d’hôpital, ils parlent une espèce de patois assez difficile à comprendre, et à la fin de la deuxième face, il y a juste un passage de deux minutes où le gars a dû s’enregistrer tout seul, il raconte des trucs de cul, mais genre en chuchotant. Tu as le souffle de la K7 et quand tu tends l’oreille tu entends le gars en mode : « ah ouais ah ouais, je… ». Peut-être qu’il se branle derrière, je ne sais pas… (rires). Il y a plein de surprises comme cela, parfois ce sont des K7 musicales où par erreur ils ont enregistré, tu tombes alors sur des bribes de la vie de tous les jours, et c’est beaucoup plus fréquent que ce que l’on peut croire en fait.
H.M. Cela doit te prendre un temps fou pour tout écouter, et pour archiver les sons…
A.M. Je récupère plein de cartons de K7, je les écoute toutes en accéléré sinon j’y passerai trop de temps, et dès que je commence à sentir un changement au niveau du son quand il y a un truc un peu bizarre j’écoute tout de suite, et c’est comme cela que je trouve plein de trucs. J’avais fait une édition Discuts là-dessus, avec tout le catalogue des pires trucs que j’avais trouvé et mis en ligne, tous les sons sont d’ailleurs en ligne sur le site Internet Archives.
H.M. Tu utilises également ces matières lors de tes concerts ?
A.M. Pas tellement, mais je me pose souvent la question sur comment utiliser telle ou telle matière pour mes lives. J’utilise des samples de trucs trouvés mais plus par rapport au sens des live, comme des effets gags, donc pas forcément ces matières-là. Pour les concerts je suis davantage axé sur une recherche sonore, et une méthode de manipulation, je fabrique mes instruments et je compose mes morceaux. Pour certains je crée même tous les sons.
J’intègre parfois quelques samples entre les morceaux il y a des extraits de paroles qui sont tirées de trucs un peu obscurs, mais il faut que cela fasse sens pour le concert. Ensuite j’ai un boulot plus axé sur l’archéologie sonore et l’archivage, je me demande encore souvent comment archiver tout cela, car je n’ai pas un esprit universitaire, j’en suis conscient et je ne souhaite d’ailleurs pas entrer dans un système d’archives froides et classées. Ce qui me plaît c’est de les faire vivre, de les diffuser de manière créative, cela fait partie de ma démarche, je tente des trucs.
H.M. J’aime beaucoup ton projet Enregistr’Or.
A.M. Oui ça m’éclate bien, et comme j’aime bien tous ces sons récupérés à droite et à gauche, parfois j’ai envie de forcer la main, j’ai de plus en plus envie de cacher des enregistreurs, façon espionnage (rires). J’ai toute une collection d’enregistreurs à K7, de petits dictaphones à déclencheur de voix. Du coup je n’arrête pas d’y penser et j’ai commencé à faire une liste de lieux potentiels pour les installer de façon anonyme, sans évidemment dévoiler l’identité des gens, pour que cela reste neutre…
H.M. À la sortie des bars, c’est pas mal non ?
A.M : ah, les bars… c’est sur !
H.M. Ce serait intéressant d’utiliser un enregistreur de manière anonyme et consciente. C’est-à-dire que les gens connaissent son emplacement, par le principe du bouche-à-oreille et d’Internet. S’ils passent dans telle rue et s’arrêtent devant telle gouttière, il suffit qu’ils parlent pour être enregistrés, la seule règle pourrait seulement être de préciser le jour et l’heure, puis ce que tu as envie de dire.
A.M. Un peu le même principe j’en ai confié deux à des gens, dont un qui est dans une expo itinérante, dans les salles des fêtes de petits patelins en France, et j’en ai fait un autre qui a une autre forme que j’ai confié à une prof d’un lycée viticole du sud de la France. Le projet avance et ça se développe pas mal. Au départ je l’avais fait pour les mariages et puis je trouvais l’idée super, plein de gens m’ont encouragé à continuer. Comme tout projet ça met parfois longtemps à germer et à se mettre en place, donc là je commence à avoir quelques commandes spécifiques sur ce projet. Ça donne envie d’en proposer dans différents contextes, sous des formes différentes, car selon le lieu et l’utilisation il faut réfléchir à la forme. j’adorerai en mettre dans la rue, mais après il faut adopter une autre démarche…
H.M. En soirée ça doit être cocasse…
A.M. Oui, les conneries que les gens peuvent raconter à ce genre d’appareils quand ils sont bourrés, c’est génial ! D’ailleurs à mon mariage j’en avais installé un, façon livre d’or sonore. Tu t’attends à avoir des mots gentils mais à la fin, quand tout le monde est bourré au champagne, ça donne des trucs super ! Dans les bars, où dans une boîte j’y ai pensé, mais je n’ai pas encore pris le temps de démarcher.
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