Dans son modeste home studio de South London, Reginald Omas Mamode IV joue chaque note, chaque frappe, chaque souffle de son nouvel album Rivière Noire. Entre les murs tapissés de vinyles et une lampe qui grésille doucement, il convoque l’héritage mauricien de son père, la rue londonienne et la soul d’une époque révolue pour écrire une musique où l’intime rencontre le politique
Sorti le 18 juillet 2025, Rivière Noire est un disque sans filtres, ni samples ni artifices : tout y est joué, enregistré et produit par Reginald lui-même. Entre funk lo-fi, Sega, soul, hip hop, jazz et blues, l’album trace un sillon où se croisent mémoire coloniale, humanisme et grooves brûlants ; un geste autant artistique que nécessaire…
Londres : la pluie, la ville, le souvenir des îles
Reginald Omas Mamode IV DR
Le quartier où Reginald a grandi sent le bitume mouillé et la fumée des bus. Dans son salon transformé en studio, les murs sont couverts de pochettes et de câbles. Ici, les souvenirs de Maurice, Réunion et Rodrigues sont plus qu’un décor : ils sont dans le bois du vieux tambour qui traîne dans un coin, dans une photo jaunie de famille posée sur une enceinte. Quand il frappe une caisse claire ou pince une corde, c’est comme si la rue grise de Londres dialoguait avec une plage de sable noir de la côte mauricienne.
Pas de samples, pas de prête-mains. Sur Rivière Noire, Reginald enregistre tout : batterie, guitares râpeuses, Fender Rhodes au grain chaud, percussions, voix. On devine presque les micros bricolés, le souffle dans les prises, les cliquetis involontaires de baguettes contre un pied de cymbale. It’s Our World s’ouvre comme une démo qui aurait refusé de rester dans l’ombre : directe, minimale, portée par un groove qui flotte entre hip-hop et jam nocturne.
« My great-grand papa was born in chains… This story runs deep, through our veins » – Reginald Omas Mamode IV
Paroles simples, impact direct
Reginald Omas Mamode IV DR
Sous la chaleur du son, les mots coupent.« My great-grand papa was born in chains… This story runs deep, through our veins » lance-t-il, presque murmuré, sur Through Our Veins. Entre les morceaux, des interludes courts : bribes de voix, accords suspendus, respirations qui donnent à l’album des allures de carnet intime. À chaque pause, on sent qu’il ne s’agit pas d’une démonstration de style, mais d’une conversation — entre Reginald, son passé et nous. Reginald ne harangue pas. Il répète simplement : « We are all related. Love and compassion are universal feelings we should embrace ».
Sa voix n’a rien d’un manifeste, elle ressemble davantage à une confidence. Mais dans la chaleur sourde des basses, dans la rondeur des claviers, cet appel à l’unité résonne plus fort que n’importe quel discours. C’est le genre de disque qu’on écoute autant pour ses grooves que pour la respiration qu’il laisse entre les notes. Dans Rivière Noire, il y a le Londres nocturne et humide, il y a l’océan Indien et ses vents chauds, il y a les luttes et les danses, les ancêtres et les radios pirates. C’est un disque-rivière : il coule, charriant la mémoire et les grooves, et rappelle que parfois, la musique ne fait pas que nous accompagner – elle nous relie.
Fondateur de Houz-Motik, Cyprien Rose est journaliste. Il a été coordinateur de la rédaction de Postap Mag et du Food2.0Lab. Il a également collaboré avec Radio France, Le Courrier, Tsugi, LUI... Noctambule, il a œuvré au sein de l'équipe organisatrice des soirées La Mona, et se produit en tant que DJ.