Un soir de décembre 2024, au cœur de Coldwater Canyon Park à Los Angeles, Saul Williams, Carlos Niño et leurs amis musiciens ont donné vie à un rituel musical et poétique rare, le tout, sous les arbres centenaires de TreePeople, devant un public suspendu aux mots et aux souffles. Un enregistrement unique, publié par International Anthem, qui transforme la nature en amphithéâtre et l’instant en proclamation
Saul Williams Meets Carlos Niño & Friends at TreePeople n’est pas un simple live. C’est une œuvre immersive, captée en pleine forêt, où la musique se construit en temps réel, traversée par la poésie politique de Williams, les textures organiques de Niño et la complicité d’un collectif d’artistes remarquables, dont Kamasi Washington et Aja Monet. Entre cérémonie écologique et improvisation libre, mêlant spoken‑word, jazz spirituel et ambient, cet album ouvre une brèche : écouter devient acte de résistance douce et de reliance au vivant. Dans un monde saturé de bruits artificiels, ce disque rappelle que la musique peut encore être un refuge, un cri, un souffle partagé entre humains et nature. Sous les arbres, quelque chose recommence, et cet opus nous invite à tendre l’oreille vers ce qui reste vivant…
Là où le son précède la parole
Carlos Niño DR
Dès Sound then Words, seize minutes suspendues, la scène s’installe dans une lente ascension : d’abord le murmure instrumental, guitare‑synthé de Nate Mercereau et nappes électroniques de Francesca Heart, bientôt rejoints par les souffles de flûte d’Aaron Shaw. Puis, la voix de Saul Williams fend l’air : une poésie tranchante, convoquant la Dutch East India Company, les Lenape de Manahatta, Wall Street. Le tout, sans rupture : paroles et sons tressent une incantation, en écho au lieu, aux arbres, au silence alentour.
Des alliés précieux sous les branches ? Autour du duo central, un cercle : Kamasi Washington au sax ténor, Maia à la flûte et vibraphone, Andres Renteria aux percussions, et Aja Monet, invitée, pour un spoken‑word magnétique. « The water is rising / as we surpass the firing squad », déclame-t-elle, avant un crescendo lumineux où Williams reprend la main. Chaque musicien semble trouver sa place, comme si le temps et l’espace forestier redessinaient les hiérarchies habituelles de la scène.
« There is music in the trees, but it is not for sale. » — Saul Williams, extrait de Saul Williams Meets Carlos Niño & Friends at TreePeople (2024, International Anthem).
Une musique vivante, un manifeste discret
Saul Williams DR
Carlos Niño enfile ici sa double casquette de batteur cosmique et sculpteur sonore. Live‑sampling, traitements électroniques en temps réel, nappes qui se superposent… Rien n’est fixé, tout se crée dans le moment, organique et mouvant, à la manière d’un souffle collectif. Ce live s’inscrit dans la lignée des albums Placenta ou Extra Presence, mais l’y dépasse : c’est un geste environnemental autant qu’un acte musical, un manifeste discret où nature et culture dialoguent à l’unisson.
De l’éphémère à l’éternité : enregistré par International Anthem, le label qui a redéfini la scène free‑jazz et expérimentale de Chicago à L.A., l’album capture cet instant rare pour le prolonger. Il sortira le 28 août 2025, accompagné d’une tournée entre États‑Unis et Europe, de Pitchfork London à Utrecht. Saul Williams résume ainsi : « I’ve seen enough. It’s time for the end of empire, and the dawn of something else » (extrait de Sound then Words, live, TreePeople). Une phrase comme une ligne d’horizon.
Fondateur de Houz-Motik, Cyprien Rose est journaliste. Il a été coordinateur de la rédaction de Postap Mag et du Food2.0Lab. Il a également collaboré avec Radio France, Le Courrier, Tsugi, LUI... Noctambule, il a œuvré au sein de l'équipe organisatrice des soirées La Mona, et se produit en tant que DJ.