LP - Let Me Down Easy: Echoes From Cheri Records

Let Me Down Easy, quand le New Jersey réinventa la soul

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Sous l’apparente discrétion d’un petit label de Newark, Cheri Records a tissé l’un des fils les plus sensibles et les plus persistants de la soul américaine. De 1974 à 1982, à peine onze disques, mais un héritage qu’on retrouve dans le travail de Patrick Adams, Tom Moulton, Larry Levan ou même MF Doom. Miles Away exhume cette histoire avec Let Me Down Easy – Echoes from Cheri Records, première pièce d’une série dédiée aux labels qui ont façonné le son des marges

À travers treize morceaux entre soul, gospel et proto-disco, la compilation Let Me Down Easy dévoile les contours d’un label minuscule et visionnaire. Avec Rare Pleasure, The Family Tree, Julius Brockington ou Brooklyn People, le disque réanime une époque où la ferveur et le groove se parlaient sans calcul ; un document précieux, autant pour l’histoire que pour le cœur

Une légende discrète, mais décisive

Photo Boo Frazier
Boo Frazier DR

Fondé en 1974 par Boo Frazier, Cheri Records n’aura produit qu’une poignée de disques, presque tous tirés à quelques centaines d’exemplaires. Pourtant, chacun d’eux vibrait d’une intensité rare — celle des studios modestes où la soul rencontrait déjà le beat des clubs new-yorkais. Derrière ces sessions, on croise le fantôme d’un âge d’or : musiciens affûtés, chœurs gospel incandescent, ingénieurs qui pressaient les disques à la hâte pour le dancefloor du week-end. Ce n’est pas un hasard si Larry Levan ou Tom Moulton se sont nourris de ces grooves-là, ni si David Morales ou Colin Curtis continuent d’y puiser.

Le son du passage : soul, gospel et vertige, la compilation publiée par Miles Away restitue cette tension magnifique entre ferveur et mouvement. Let Me Down Easy de Rare Pleasure, morceau-titre, ouvre le bal avec une intensité qui précède la house. Les cuivres, le grain vocal, le groove souple — tout respire la liberté d’une musique sans cloison. Puis viennent les harmonies tendues de The Family Tree, la spiritualité hypnotique de Roslyn & Charles, la sophistication de Julius Brockington. La production, restaurée avec soin, conserve cette patine urbaine et analogique qu’aucun plugin ne saurait reproduire.

« Les meilleurs disques soul ne sont pas ceux qui vendent le plus, mais ceux qu’on n’oublie jamais ». – Larry Levan (entretien avec Blues & Soul Magazine, 1986).

Une mémoire prolongée dans le futur

Photo Sandy Barber
Sandy Barber DR

Echoes From n’est pas seulement une série d’archives : c’est une invitation à reconsidérer la cartographie des labels indépendants américains. On connaissait Hi Records à Memphis, Curtom à Chicago, Salsoul à New York… Cheri, lui, incarnait la face intérieure de cette époque, une soul de dévotion et d’instinct. En rendant hommage à ces artisans oubliés, Miles Away rappelle que la musique populaire n’a jamais appartenu qu’aux grandes structures, mais d’abord aux rêveurs obstinés.

Groove et transmission : À la fois anthologie et manifeste, Let Me Down Easy offre un voyage dans le cœur battant du New Jersey des seventies, celui des clubs à taille humaine, des radios locales, des chœurs en studio le dimanche. Dans le livret, les témoignages de Colin Curtis et David Morales éclairent l’héritage de ces disques sur la culture dance : “C’est là que tout a commencé pour moi, dans ces morceaux qu’on jouait à peine sortis du pressage, pleins de vie et d’espoir.” (David Morales, entretien inédit dans les liner notes Miles Away, 2025). Dans un monde saturé de sons, ces échos de Cheri résonnent comme une promesse : celle d’une musique qui ne s’use pas, parce qu’elle vient d’un lieu où tout était encore possible.

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