Jessie Chaton dresse le bilan de Fancy

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Dans les années 2000 Fancy et ses concerts torrides électrisent l’hexagone et l’international, banalisant d’un riff de guitare le principe même du double effet “Kiss Cool” ! Dix ans plus tard, le groupe peine à faire exister un second album sur scène. Pour l’amour du Glam et de la pop, entre deux dates avec General Elektriks, Jessie Chaton livre ses pensées sur l’avenir de Fancy, et sur le sien.

Le glam, style précurseur du mouvement punk, naît au Royaume-Uni dans la première moitié des années 70 et s’étend aux années 1980. Deux décennies que les membres de Fancy affectionnent tout particulièrement ! Comme de nombreux gamins de l’époque, ils écoutent David Bowie et T Rex, mais leurs préférences s’appellent Gary Glitter, Sweet, Suzi QuatroLeur goût de la scène provient d’une avalanche spectaculaire de son, de lumières et de fringues, car aller à un concert de Fancy c’est avant tout assister à un vrai show !

Fancy 2.0

2006, Seventeen fait une jolie percée sur les ondes, les concerts s’enchaînent et leur premier album Kings of The Worlds (Exclaim, 2007) connaît une réédition augmentée* : la route du succès semble leur appartenir. Soutenus et respectés par Les Inrocks, Taratata, Tsugi, Ce soir ou jamais (…) mais aussi par des amis musiciens tels que Général Electriks, Justice, Busy P, les concerts se font pourtant plus rares et Fancy Machine (Police-Records, 2015), le second album, est un peu l’oublié des radios. Fancy accuse aujourd’hui une perte de vitesse et la situation, propice aux évolutions, propulse Mom, guitariste et membre fondateur du groupe, vers des projets artistiques davantage liés à l’image. D’ailleurs si Alice Bunel et Fabrice Laouari ont participé à l’artwork de Fancy, c’est surtout Mom qui gérait la majorité des choses dans ce domaine.

Pour Jessie Chaton, figure de proue de la formation, cet exil semble être digéré : “cela s’est fait d’un commun accord, ça couvait un peu, c’est un peu une histoire d’amour qui s’arrête aussi tu vois, c’est pareil…”. Amputée de l’un de ses piliers la formation s’est depuis tourné vers Mika Luna, guitariste et fan inconditionnel de la première heure qui a assisté à beaucoup de concerts. Ce dernier s’est vu proposer de jouer avec le groupe, un pari relevé haut la main : “Il joue vraiment bien et il a relevé le défi. Les parties sont assez complexes au niveau des accords, des structures et des rythmiques, il s’en sort super bien !”.

Photo de Jessie chaton et du groupe Fancy

Fancy : Jessie Chaton, l’interview bilan !

Houz-Motik. Fancy, c’est stylé !
Jessie.Chaton. Cela fait partie de notre vision ! Quand je vais voir des concerts j’ai envie de rêver. Si c’est pour aller au concert de mon voisin que je croise tous les jours et qu’il ressemble à ce même voisin sur scène… Donc c’est un peu ce que l’on donne, et malheureusement pour nous c’est parfois mal interprété. Les gens ont l’impression qu’on est un peu un groupe de rigolo, à cause des fringues, du maquillage et de quelques blagues sur scène… C’est vrai que j’aime ajouter des touches d’humour pour décontracter le truc en fait, mais je cherche pas à faire du “one man show”, je ne suis pas Gad Elmaleh tu vois. C’est dommage que les gens se méprennent là-dessus parce qu’on se prend pas non plus au sérieux, on veut juste faire un show, faire rêver !

H-M. On ne peut pas faire confiance à un mec en paillette ?
J.C. Peut-être que l’époque ne veut plus de ça et peut-être qu’aujourd’hui le truc c’est de mettre du kitsch à toutes les sauces : “ahh tu mets les cheveux comme ça ? C’est kitsch…” Et bien non, je fais aussi un truc qui à une autre époque a vendu des millions de disques, forcement on est plus à cette époque-là, mais encore aujourd’hui c’est un truc qui fait rêver. Tout le monde s’en inspire et l’on est encore un des seuls groupes à livrer ce côté paillettes, glamour, show, spectacle, notamment en France, et ça a du mal à passer pour les gens. Pour eux c’est plus de la rigolade… Pourtant lorsqu’on l’on ferme les yeux on est carrément sur une structure pop, et ça c’est loin d’avoir disparu car tout le monde le fait.

Fancy, Born to be a live !

Sur scène le groupe est à la hauteur, il ne faut pas plus d’un titre pour que le public s’approche de la scène afin de ne pas en perdre une miette. Parfois les mômes et leurs parents viennent chercher un CD, un autographe et quelques bisous. Les sourires illuminent les visages, comme au Pan Piper où nous étions en mars 2015.

H-M. Vos sorties de scène sont souvent accompagnées d’éloges
J.C. Ah oui, « super, t’assure !”, et il n’y a rien de plus bon que d’entendre ça ! Par exemple on a fait une date à Axe Les Terne en août dernier, c’était génial de voir tous ces gens qui ne nous connaissaient absolument pas, ils ont tous scotché, ils étaient ravis, j’ai même pas cherché à vendre des disques, je n’ai pas percuté, si ça se trouve j’aurais pu en vendre plein derrière. C’est juste que j’étais tellement content de ce cadeau, ces gens qui ne nous connaissaient pas, ont accroché et qui sont resté (…) C’est pour ça que je parle de show, c’est notre truc, en français c’est peut-être un peu moche on dit divertissement, mais on anglais c’est “entertainment”, ça sonne, c’est le truc, c’est Las Vegas ! Moi j’aime ça, ça fait rêver quoi… Et c’est génial de toucher des kids comme des gens de 40, 50 ou 60 berges… Mais comme disent les Américains, “the right time, the right place”, et peut-être qu’a chaque fois on est un peu avant ou un peu après. C’est juste con car Fancy est là avec plein de potentiel, tout le monde autour trouve que c’est super, mais ça n’arrive pas à “breaker” vraiment.

H-M. Fancy aura bientôt dix ans. Dans une époque plutôt avide de nouveautés, il faut pouvoir faire la différence assez tôt, commercialement parlant les gens passant rapidement d’une chose à l’autre. Pour le public comme pour les professionnels, l’effet de surprise est probablement moins important, seulement votre second album n’est pas moins bon que le premier, la partie production s’enrichit encore…
J.C. On a pris un tournant un peu plus funky dans le son, il y a une évolution, même sur scène on joue aussi avec des séquences, de claviers, de guitares, d’ajout de percussions, de coeurs, je pense que l’on a vraiment évolué mais ce qui branche les pros, et c’est leur moteur, c’est la nouveauté ! 

H-M. Vous bichonnez votre “fan base”, mais il leur faut surtout atteindre l’incontournable passerelle : les programmateurs radios et concerts ! Il vous manque désormais une force de frappe ?
J.C. Aujourd’hui car on fait tout nous-mêmes. On a produit le disque nous-mêmes et, au bout d’un moment, tout coûte de l’argent ! On a pris un attaché de presse indépendant, qui est d’ailleurs très bien, mais on doit faire face à des mastodontes qui poussent derrière avec leur maison de disques et des budgets plus importants (…) Demain si on a les moyens de faire des campagnes de promo de bulldozer, ce serait diffèrent. Je pense que l’on peut avoir notre place, comme plein d’autres (…) ce que je trouve archaïque aujourd’hui c’est que les radios aient autant de pouvoir à l’air d’Internet ! J’adore la radio, et je suis plutôt FIP, mais c’est dingue que ce soit trois ou quatre stations qui fassent la pluie et le beau temps pour la musique pop… Ce monopole est flippant ! 

Fancy, Glam et Cover

H-M. King Of the Worlds contient une reprise que l’on peut sans complexe qualifiée de bijou en matière d’arrangements, I’m so Excited (reprise de The Pointer Sisters) colle à l’identité du groupe comme la combinaison rouge te colle à la peau, et quand on vois ce que vous faites sur ce titre, on se demande pourquoi vous n’avez pas encore “coverisé” Talking in your sleep de The Romantics
J.C. C’est marrant, celle-ci je la passe tout le temps dans mes DJ sets… Pour le coup, c’est un vrai classique FM, c’est de la haute voltige là ! Leurs albums sont pas mal, mais ce titre vampirise un peu tout le reste.

H-M. Vous en avez fait d’autres ?
J.C. On a fait une reprise de Buzy, Adrian, que l’on à enregistré sur un disque « tribute » à Buzy, mais j’aimerai bien la refaire. C’est fantastique, un chef-d’oeuvre de la variété 80, et puis c’est pour avoir un petit truc en Français. J’ai aussi fait un truc avec Dj Zebra sur ce disque, et il y a un passage où je double le refrain en français, il y a un bon côté Trust, même si je n’ai pas la voix de Bonvoisin, il y a un côté énervé qui fonctionne bien. Je vais peut-être revoir cet aspect-là, cette reprise de Buzy, et pourquoi pas faire cette reprise des Romantics, tu as raison ça fait partie des covers à envisager.

H-M. Et The Comateens ?
J.C. Ouais, même époque (rires), il y a tellement de trucs à reprendre, même dans des styles un peu plus éloignés comme Steve Mc Queen de Prefab Sprout que j’écoutais encore il y a peu. En fait, il y a des titres tu fait “mais wouah… c’est tellement bien fichu », mais c’est tellement un boulot à arranger !

Fancy, song writting

H-M. Fancy, c’est le show ! Il suffit de vous voir au moins une fois sur scène pour le comprendre, mais le  spectacle est avant tout un répertoire de chansons, textes et musiques…
J.C. C’est du vrai “song writting” ! C’est très bien que t’aborde cette question car c’est un sujet que j’ai régulièrement avec Hervé, de General Electriks, ou même avec Justice, on parle tous de ce sujet ! En fait, on est dans une ère dictée par la prod, où le “song writting” se place au même niveau que les sons de batterie, les sons de clavier, de clap… Je trouve que l’on perd finalement l’essence de la chanson. Eux et d’autres amis me disent : “peut-être qu’il faut regarder dans cette direction, après tout c’est peut-être cela le futur, l’avenir de la musique”. Ça l’est sûrement mais je ne m’y retrouve pas totalement (…) Je ne suis pas fan de Prince, ce n’est pas un truc qui m’obsède, mais j’aime beaucoup et je m’en inspire évidemment, notamment sur Shock Me. Quand tu écoutes When Dove Cries c’est un titre presque avant-gardiste et encore hyper actuel, je peux l’écouter encore aujourd’hui, la prod est incroyable et tu as une chanson magnifique, une vraie écriture, du vrai “song writting”, les deux sont possibles ! 

H-M. En alliant “song writting” et production, Fancy peut ainsi se targuer d’avoir produit quelques tubes : 17, Whats your name again, Inside of You, Morning… Le dernier album n’est pas avare de hits potentiels : All Night Long, 69, Shock Me, Hollywood Now, ou encore Flesh Reflex !
J.C. Ouais, les Justice m’ont dit la même chose sur le dernier disque. En fait c’est juste par rapport à ce que l’on a envie de donner et ce que l’on aimerait écouter. En même temps je te dis ça mais je n’arrive pas à écouter mes disques, enfin pour tous les musiciens, écouter ses compositions c’est toujours compliqué quoi. Mais quand tu le laisses aux autres et qu’ils l’écoutent, c’est magique et c’est super qu’eux pensent ça, donc du coup encore une fois mission accomplie, on a réussi là où l’on voulait aller.

H-M. Seulement le public écoute moins d’albums. Pour être plus exact, depuis l’avènement du streaming il n’écoute plus un album dans sa globalité. Certains repensent alors leur stratégie, moins de titres, des titres plus courts, revenir aux EP ?
J.C. Moi mon rêve c’est de faire comme en 79 ! Même jusqu’en 83-84 il y a des albums de huit titres. Pour moi ce format est génial, huit, neuf titres, en dessous de dix. Et là tu ne fais que de la sélection, que tes meilleurs titres, pas trop de remplissage. Le format n’est pas chiant, tu n’es pas là à écouter 14 ou 16 titres parce que aujourd’hui c’est ça, c’est une époque un peu bâtarde, ils ne savent pas trop, alors ils te demandent des trucs : “Oui mais il nous faut des bonus… Et pour itunes il faut 16 titres… Vous n’avez pas plus, alors on va mettre des remixes…”. Mais bon peut-être que le monde entier va écouter cet album (rires). Cela dit, je reste assez optimiste sur la musique, on en a tous besoin. D’un point de vue santé t’en a besoin quoi, ça te procure tellement d’émotion pour tout.

Autant le gamin qui va écouter Maître Gims que le mec qui va écouter Kraftwerk… Le problème c’est comment elle sera monétisée, c’est un autre débat. Quand tu vois comment les mecs en “streaming” défoncent les prix… Quand les musiciens regardent leurs relevés Sacem c’est une ca-ta-strophe ! Eux disent ne pas tant se sucrer que cela au final mais qu’est-ce que l’on fait, arrêter de rendre la musique gratuitement ? En même temps je dis ça et je suis un des premiers à en écouter gratuitement sur Youtube par exemple, je trouve ça génial aussi, mais il faudrait que ce soit un peu mieux régulé, peut-être que l’on paie un peu plus je n’en sais rien, mais qu’en tout cas les musiciens s’y retrouvent quoi ! »

H-M. En fait la solution pour Fancy, c’est une résidence à Las Vegas !
J.C. Ouais ! Comme avait fait Elvis Presley en 70 je crois…

Photo de Jessie Chaton par Aicha Chaton
Jessie Chaton © Aicha Chaton
 
 

Fancy, la faute à la crise…

H-M. Faire des disques c’est difficile, et les vendre c’est compliqué… Enchaîner les concerts dans ce contexte demande beaucoup de force. Le rock a de l’énergie à revendre bien sur, mais parfois cela ne suffit pas…

J.C. Je ne te cache pas que financièrement c’est une période difficile pour moi depuis deux ou trois ans. Depuis que j’ai arrêté la tournée Général Electriks, plus d’intermittence, donc je me démerde, je prends un petit job à côté, et c’est la première fois de ma vie que cela arrive ! Moi j’ai toujours vécu de la musique et là je me suis retrouvé à vivre la crise de plein fouet comme beaucoup d’autres personnes. J’ai la chance de repartir en tournée avec eux sur l’année 2016, ça va me refaire sortir la tète de l’eau. Il m’a envoyé l’album pour que je bosse, et son disque il est… incroyable. Ce n’est pas pour lui faire de la pre promo mais je trouve qu’en matière de réalisation celui qui va sortir est à mon sens le meilleur qu’il ai pu faire, réellement. J’ai été vraiment scotché sur comment il a bossé les textures et tout et en plus ce son me parle plus que les LP précédents, même si je les adorais.

H-M. La situation est propice aux remises en question, le moral actuel du groupe est le même que le tien ?
J.C. Ouais, on s’était tous préparé à ça et justement c’est bien qu’on aborde ce sujet ! Comme ça je commence un petit peu à le claironner, je vais me lancer dans mon projet solo : Jessie Chaton. Je vais essayer de faire des trucs de mon côté, même si au départ ce n’est pas une envie perso, mais on m’y pousse tellement que je me dis après tout pourquoi pas, il faut que j’essaie, même si cela ne prend pas. Je vais donc faire quelques titres et on verra bien… En ce qui concerne Fancy on va laisser comme c’est et si des choses rebondissent c’est cool, sinon on laisse. Peut-être qu’après ce disque ce n’est pas la peine d’insister. Enfin, on pourra toujours y revenir quand on le souhaite et avec Rae, le bassiste, on envisage de monter un projet parallèle”.

Jessie Chaton, carrière solo ?

H-M. Le projet Jessie Chaton est très diffèrent de Fancy ?
J.C. Je ne vais pas trop changer ma voix, elle est comme elle est. Musicalement je joue aussi du clavier, il y aura peut-être des compositions un peu plus douces. Par exemple les slows, c’est un truc que je n’ai pas encore vraiment exploré”.

H-M. Tu nous fais ton Polnareff ? 
J.C. Ouais (rires), mais j’adore ça ! Autant j’apprécie des trucs énervés que j’aime aussi les belles mélodies. J’aime les Carpenters mais j’aime aussi écouter Ride The Lightning de Metallica tu vois. Si notre époque est difficile, il y a un bon côté, c’est qu’on a un super bel héritage, quand tu tourne la tête il y a tellement de trucs, et c’est tellement vaste. À une autre époque on se sentait peut-être un peu plus obligé d’appartenir à des castes, des styles, moi je suis “hardos”, ou moi je suis “funky”, ou “rapper”. Aujourd’hui on n’a pas honte de dire j’aime Gainsbourg et j’aime les Guns in Roses, ça choque moins, ou encore j’aime Booba et Julien Clerc…

H-M. Il faut me le trouver celui-là !
J.C. (Rires) Oui bon… En tout cas je trouve que Booba, d’un point de vue image et rapper, je pense que c’est un mec hyper intelligent, il a tout compris, si j’étais un kids aujourd’hui et que je chercherai à être un dur, je me dirai Booba il est mortel, très charismatique ! 

Jessie Chaton Tshirt clip video Justice Dance
© Justice

 

H-M. Jessie Chaton est né trop tôt, ou trop tard ?
J.C. Je pense que je suis né, c’est tout. Après c’est à moi d’en faire ce que je veux quoi, et j’essaie d’en faire ce que je veux…
H-M.Tu en fais déjà ce que tu veux, non ?
J.C. J’en fais à peu près ce que j’en veux (rires) notamment sur ces dernières années ! Je ne vais pas me plaindre, j’ai quand même une carrière plutôt cool, ne serait-ce que d’avoir fait Dance avec Justice, c’est écrire et entrer dans l’histoire de la dance music. C’est-à-dire que dans trente ou quarante ans, on citera encore ce titre, ça sera dans les bouquins, je n’en sais rien… Donc je suis hyper ravi de ça. Je participe également à Rinoscerose, on a fait le tour du monde, ils m’ont emmené partout, au Japon, au Quebec, en Amérique  du sud… Avec Général Electriks aussi, donc j’ai une belle carrière.

Fondateur de Houz-Motik, Cyprien Rose est journaliste. Il a été coordinateur de la rédaction de Postap Mag et du Food2.0Lab. Il a également collaboré avec Radio France, Le Courrier, Tsugi, LUI... Noctambule, il a œuvré au sein de l'équipe organisatrice des soirées La Mona, et se produit en tant que DJ.

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