Un soir d’automne, en 2001, Derrick May joue au regretté Club « Le 4 Sans » à Bordeaux, où nous l’avons interviewé en terrasse d’un café… 20 ans plus tard, nos questions seraient légèrement différentes
article re-édité le 1er Mars 2021.
2001, un soir d’automne, Derrick May doit produire un DJ set au club Le 4 Sans. Bordeaux est à environ 3 h de trajet de Limoges où je vis alors, à l’époque, je travaille pour Radio Trouble Fête. Après quelques échanges avec l’équipe organisatrice du club, nous convenons de faire un sujet pour la radio avec une interview de l’artiste américain avant l’ouverture du club. Le jour même, dans l’après-midi, l’organisation annonce que le DJ souhaite se reposer mais qu’il sera possible de lui parler après son set. À la clôture, monsieur May lui-même me dit : « j’ai besoin de souffler, remettons cela à demain si toutefois tu es encore dans le coin… ».
Cela tombe bien, j’ai prévu de ne rentrer que le lendemain soir, le rendez-vous est pris à 15 h… Derrick May n’est pas disponible avant 17 h, il profite de son déplacement pour acheter du vin. L’une des personnes qui organise la soirée, et qui l’accompagne, précise qu’il a négocié dur comme fer pour tenter d’acheter une caisse de vin alors que cette production viticole limite ses ventes à une bouteille par personne. May annonce fièrement qu’il a acheté deux bouteilles… Cette interview se déroule en terrasse d’un café bordelais, l’échange dure environ une heure, mais je n’ai gardé que 10 minutes de cette conversation. Au programme, sa carrière de producteur et de DJ, son intérêt pour le jazz et la nouvelle scène de Detroit, mais aussi le 11 septembre l’attentat ayant eu lieu seulement quelques semaines avant cette rencontre.
Vingt ans plus tard…
Mes questions sur son parcours, à l’époque simples et peu fouillées, seraient désormais différentes. Si cette rencontre avec Derrick May reste sympathique, il s’avère que ce dernier s’affranchit de détails historiques pourtant importants. Lorsque l’on évoque la conception de Nude Photo, et de la légende urbaine qui l’accompagne (ndlr, le fait qu’il aurait composé ce titre nu), il ne mentionne jamais Thomas Barnett, pourtant à l’origine de cet hymne de la techno de Detroit, et avec qui il est en conflit. Il ne s’agit pas d’une affaire isolée, depuis quelques années le journaliste Michael James, à l’origine de la mélodie du morceau Strings Of Life, tente de faire valoir ses droits.
Plus récemment, James a contribué à la mise en lumière de plusieurs plaintes de femmes contre May, pour agressions sexuelles. Ce dernier a poursuivi Michael James pour diffamation, arguant que la rancune de James contre lui découlait d’un différend sur les redevances sur Strings of Life. Lors d’une audience Zoom le 29 janvier 2021, par la troisième cour judiciaire du Michigan, il a été ordonné à May de payer 10 000 $ afin de prouver la malveillance réelle dans l’affaire. Son avocat, Kyle Dupuy, a ensuite émis un avis d’intention de rejeter la poursuite, qui a été approuvé lors d’une audience le 26 février 2021. Cette motion indiquait que Derrick May « se trouve dans des difficultés financières car il n’a pas pu travailler l’année dernière », et que « le litige en cours cause une attention et un stress indésirables à [May] et à sa famille ».
Rappel des faits
En novembre 2019, Michael James entame une série de publications sur sa page Facebook, affirmant que des femmes lui ont fait part d’allégations d’inconduite sexuelle impliquant Derrick May. Ces actes présumés allaient de faire des commentaires inappropriés, à attirer des femmes dans sa chambre d’hôtel pour les violer. Pendant presque un an, les griefs de longue date entre James et May ont amené la plupart des spectateurs des médias sociaux à ne pas prendre ses accusations au sérieux. Après l’overdose accidentelle du DJ producteur Erick Morillo, James a publié un article comparant May à Morillo – qui devait comparaître devant le tribunal pour une affaire de violence sexuelle trois jours après sa mort – James a inséré les allégations contre May dans une conversation plus large sur les abus sexuels dans l’industrie de la dance music.
Derrick May a ensuite été retiré des programmations 2020 de plusieurs événements, comme la Paris Electronic Week, et Movement Selects Vol. 1, et de l’événement 2021 Haçienda At Tobacco Dock. Il a également démissionné discrètement du conseil d’administration du MOCAD. DJ Mag et RA ont notamment publié des articles comprenant une combinaison d’allégations de harcèlement sexuel et d’agression le concernant. Un autre article de RA cite sept autres comptes rendus d’inconduite présumée – tous anonymes à l’exception d’un donné par DJ Paulette. Dans une récente interview avec Selector, Annabel Ross – qui a écrit ces articles pour RA – a expliqué à quel point il est difficile pour les victimes d’abus de se manifester. « Nous parlons de personnes qui ont vécu des expériences profondément traumatisantes dont elles ne sont souvent pas guéries », a-t-elle déclaré. « C’est déjà très, très difficile de parler de ces choses. »