Dix ans après The Universe Smiles Upon You, Khruangbin ne célèbre pas son acte fondateur à coups d’archives ou de grandiloquence symphonique. Le trio retourne là où tout a commencé, dans une grange du Texas central, pour rejouer ces morceaux comme ils sont devenus, pas comme ils étaient
Avec The Universe Smiles Upon You ii, Khruangbin ferme un cycle sans l’embaumer. Dix morceaux, dix relectures, captées dans les mêmes murs mais avec d’autres corps, d’autres silences, d’autres réflexes. Le disque rock & funk ne cherche ni la surprise frontale ni la déconstruction radicale. Il documente un déplacement subtil : celui d’un groupe qui connaît désormais intimement sa propre grammaire, et qui accepte de la rejouer sans se mentir. Un album de reprise, oui, mais surtout un disque de présent ; retour à la grange mais pas à la nostalgie…
La grange comme outil, pas comme relique

La grange est devenue une pièce centrale du récit Khruangbin. Une géographie intime, presque mythologique. Mais ici, elle n’est jamais traitée comme un décor figé. En 2015, elle était un refuge bricolé, infesté d’abeilles, chauffé à l’économie, propice à une musique encore en train de se chercher. En 2025, elle reste froide, inconfortable, mais assumée comme un espace de concentration. Le groupe y revient non pour rejouer la scène originelle, mais pour mesurer l’écart. Ce retour n’est pas un geste nostalgique : c’est une prise de température.
Rejouer sans restaurer : les morceaux ne sont pas restaurés, ils sont déplacés. Bin Bin ii change de statut, glisse vers le cœur du disque. Two Fish and an Elephant ii s’étire, respire autrement. People Everywhere (Still Alive) ii assume une durée qui ne cherche plus l’efficacité immédiate, mais la tenue dans le temps. Khruangbin joue avec ce qu’il sait désormais : la gestion de la dynamique, le poids du silence, l’élasticité du groove. Rien n’est radicalement transformé, mais rien n’est figé non plus. C’est précisément là que le projet trouve sa justesse, et aussi sa limite.
« We just wanted to hear what these songs sound like now, without pretending we’re still the same people. » — Mark Speer, entretien presse 2025.
Un son plus proche, presque domestique

Mark Speer introduit ici une approche plus acoustique, nourrie par son intérêt récent pour des instruments capables de projeter sans volume. Guitares captées au plus près, micros de contact, batteries aux balais : le disque resserre l’espace. Sur White Gloves ii, cette approche fonctionne pleinement. Le morceau, souvent sacralisé dans le répertoire du groupe, trouve ici une version plus terrienne, presque “country disco”, où la mélancolie n’est jamais décorative. D’autres titres, en revanche, restent volontairement sages, honnêtes, mais sans révélation majeure.
• À lire aussi sur Houz-Motik : l’Afro Funk Psyché de Super Yamba Band & Osei Korankye
Un disque de clôture, pas de promesse. Il faut le dire clairement : The Universe Smiles Upon You ii n’est pas un disque charnière. Il ne réinvente rien. Il n’ouvre pas de territoire neuf. Il clôt. Après une décennie de tournées massives, de collaborations prestigieuses et d’albums de plus en plus maîtrisés, Khruangbin choisit de suspendre le mouvement, de regarder en arrière sans s’y installer. Ce disque agit comme un point d’arrêt conscient, presque nécessaire, avant autre chose, encore indéfinie. Ce second sourire de l’univers n’est ni plus large ni plus éclatant que le premier. Il est plus calme, plus chaud, plus assuré. The Universe Smiles Upon You ii documente moins un retour qu’un déplacement intérieur. Un disque honnête, parfois trop prudent, mais profondément cohérent. Khruangbin n’y cherche pas l’avenir ; il s’accorde le droit de respirer avant de le formuler.



