LP 通勤者族

Rails & Réminiscences : l’odyssée urbaine japonaise de Krikor Kouchian

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Entre Kyoto et Osaka, Krikor Kouchian compose une symphonie du quotidien. Inspiré des jingles ferroviaires des lignes Keihan, JR et Hankyu, l’album 通勤者族 – Commuters transforme ces signaux fonctionnels en matière poétique. Publié le 20 octobre 2025, ce disque explore la mémoire, collective et intime, comme un réseau de voies parallèles, où l’on ne sait plus très bien si le souvenir est réel ou simplement rejoué

Fruit d’une performance live d’une heure, enregistrée à Kyoto puis retravaillée à la Villa Kujoyama, Commuters prolonge la recherche de Krikor sur les strates de la mémoire sonore. C’est un disque de textures, de résonances et de trajets intérieurs, où les rails deviennent lignes de fuite et les sons du voyage, fragments de conscience. Dans un monde saturé de stimuli, l’artiste renverse la perspective : écouter devient se souvenir…

Les signaux du départ

Photo Kukangendai
Kukangendai DR

Au Japon, chaque ligne de train possède son jingle, court, efficace, apaisant. Ces mélodies d’alerte, conçues pour guider les passagers, rythment des millions de vies. Krikor s’en empare, non pour les sampler frontalement, mais pour en traduire la vibration mentale : ce moment suspendu entre deux stations, entre la répétition du geste et la dérive de la pensée. Les motifs originaux sont déconstruits, étirés, froissés ; la banalité du transport se mue en rituel. À travers cette transmutation, l’artiste transforme le « signal » en « souvenir ».

La mémoire comme matière : « nos souvenirs sont-ils fidèles à la réalité, ou des reconstructions adaptées à notre récit personnel ? » interroge Krikor. La question innerve tout le projet. Ce disque, né d’un environnement ultracodifié, devient un laboratoire sur la plasticité du souvenir. Les sons ferroviaires s’y mêlent à des strates électroniques et à un trio instrumental (guitare, basse, batterie). Ensemble, ils tissent une trame mouvante, presque filmique : le passage des trains devient passage du temps. Les voix absentes laissent place aux fantômes des mélodies ; l’électronique agit comme un brouillard de mémoire.

« This record draws inspiration from the railway jingles of the Keihan, JR, and Hankyu lines connecting Kyoto and Osaka. » – Krikor Kouchian

Kyoto : enregistrement et réminiscence

Photo Krikor Kouchian
Krikor Kouchian DR

Enregistré en février 2025 à SOTO 外, avec les musiciens de Kukangendai – Junya Noguchi (guitare), Keisuke Koyano (basse) et Hideaki Yamada (batterie) – puis produit à la Villa Kujoyama, Commuters porte l’empreinte du lieu. On y sent l’air tiède, la lenteur des après-midi de Yamashina, le ronflement des trains dans la vallée. Ce n’est ni un disque de terrain ni un simple projet conceptuel : c’est une cartographie émotionnelle, une étude de ce que l’on retient d’un lieu quand on le quitte. Les sons ne documentent pas Kyoto ; ils en prolongent l’écho intérieur. Lignes de fuite et paysages mentaux : écouter Commuters, c’est entrer dans une zone où la rationalité s’efface. On passe d’une nappe douce à un beat tremblant, d’une mélodie noyée à un drone vibrant. Chaque fragment semble provenir d’un souvenir collectif : une annonce de quai, un rire, une réverbération métallique.

On pense aux travaux de Toshiya Tsunoda ou à la délicatesse quasi cinématographique d’un Fennesz. Pourtant, Commuters reste profondément personnel : une pièce d’écoute urbaine, sensible et fragile. Soutenu par la Villa Kujoyama, l’Institut français et la Fondation Bettencourt Schueller, 通勤者族 – Commuters inscrit Krikor Kouchian dans une lignée d’artistes qui transforment l’environnement en expérience sensorielle. En fin de parcours, on se surprend à fredonner un écho de gare, à ressentir une douce mélancolie : la musique n’imite pas le réel, elle en révèle les harmoniques invisibles. Sous ses airs de disque conceptuel, Commuters parle surtout du voyage intérieur que chacun porte. Les rails s’effacent, la mémoire reste.

 

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