Gohj-ji prend son envol

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Démarrer

Du haut de ses dix-huit ans, Gohj-ji, aka Navin Sahjpaul, surprend par sa maturité et son talent. Autodidacte il débute la musique il y a deux ans, le décès soudain de sa mère lui fait prendre conscience que cela peut devenir son mode d’expression. De cette terrible épreuve jaillit une lumière qui lui sauve la vie, et donne naissance à trois disques en un an

En juin dernier sur Radio-Canada, Marc Fournier consacre une chronique au premier EP de Gohj-ji, un jeune artiste de Vancouver, passionné de textures vaporeuses, d’ambient, de musique low fi et d’indie rock. La présentation radio est belle : “c’est un jeune musicien qui fait une musique née bien avant lui”. Cette introduction est d’autant plus forte lorsque l’on découvre la particularité de ce disque, Gohj-ji y superpose sa musique avec la voix de sa mère, disparue il y a deux ans.

Extrait

Interview

You Are Not Here est un premier disque particulièrement touchant, bouleversant même, il évoque la perte de ta mère. Comment t’es venu l’idée d’y ajouter sa voix ?

 

C’est plutôt spontané, ce n’est pas un concept que j’ai cherché à fabriquer. En fait j’avais un morceau ambient et je me suis dit que ce serait intéressant d’y inclure une voix ou un discours. J’ai essayé plusieurs choses, parmi mes podcasteurs et mes youtubeurs favoris, et j’ai soudainement essayé avec la voix de ma mère. À partir de là tout s’est enchaîné assez vite, et l’idée de lui consacrer entièrement le EP est venue naturellement. Quand j’ai superposé sa voix avec la musique, c’était un peu comme si elle était revenu à la vie, pas de manière physique bien sur, mais elle est présente musicalement.

 

Sa voix provient de mémos trouvés dans son téléphone, il s’agit de notes qu’elle se laissait, des pensées pour ses enfants, elle se parlait souvent à elle-même ?

 

Non, c’est aussi pourquoi cela me plaît autant ! Elle est partie très rapidement, personne ne s’attendait à ce que ce soit si soudain. Je ne crois pas qu’elle avait conscience qu’elle allait mourir lorsqu’elle a laissé ses mémos, c’était juste des pensées…  J’ai trouvé tout un tas de mémos vocaux sur son téléphone, qu’elle a enregistré tout au long des années. Ces enregistrements m’ont sauvé la vie. Je me noyais, complètement isolé de tout, et de tout le monde. Seul et perdu. Puis j’ai à nouveau entendu sa voix…

 

Elle ne savait pas qu’elle allait partir si vite, vous ne saviez pas que vous feriez de la musique ensemble sans qu’elle soit à vos côtés, c’est finalement une connexion très forte, et pleine d’énergie.

 

Totalement.

 

 

Le maxi suivant s’intitule “Me Drowning”, la métaphore de la noyade est une façon de prendre son indépendance, à la fois personnelle et musicale, d’aller plus loin ?

 

Oui, c’est exactement cela. Au départ, quand j’ai fait ces chansons, j’étais plutôt perdu. Aujourd’hui encore c’est assez confus dans mon esprit. C’est très dur de se sortir de ce genre de situation, et la musique est un excellent moyen de s’en échapper. Mais je crois que c’est très bien de toujours se rappeler où on en était au départ, et ce que l’on fait désormais. J’essaye constamment d’appliquer cela dans mon travail, je suis fier d’avoir évolué, il suffit que je compare avec ce que je faisais l’année dernière, c’était des compositions très basiques, et un peu calibrées de la même manière. Je suis plutôt content de mon parcours, et bien entendu j’en veux davantage.

 

Gohj-ji voue une véritable passion pour les musiques aériennes, folk et indie rock, ses  influences ne trompent pas : Brian Eno, Vangelis (BO de Blade Runner), Beachhouse, l’album Holy Cross de Fog Lake,  l’album Loveless de My Bloody Valentine avec “Only Shallow”, le premier titre…

 

Je l’appelle le Ying Yang de la musique. Je me souviens toujours de la première écoute, je me suis tout de suite dit : “oh c’est terriblement nuageux”, ces dix premières secondes très rock et extrêmement agressive qui ouvrent une superbe mélancolie dream pop, les harmonies sont somptueuses, sans oublier la voix d’ange de la fille. Ce contraste est dingue, je suis littéralement tombé amoureux de ce son.

 

Tes parents écoutaient de l’ambient ?

 

Non, mon père m’a fait découvrir Radiohead et Pink Floyd. Tu connais le jeu Minecraft ? L’artiste qui en a fait la musique s’appelle C418. Je me souviens d’avoir un peu joué à Minecraft mais surtout d’avoir adoré ces superbes plages landscape et synth drone, je pense que c’est cette musique, celle de minecraft, qui m’a mené à l’ambient.

 

Armé de tes instruments virtuels (Massive, FM8), de plug-ins, et des sons de la nature que tu enregistres, ces maxis sont des projets solo. Tu as des projets de collaboration ?

 

J’y réfléchis beaucoup et j’ai hâte de collaborer avec des batteurs, des guitaristes, seulement je ne les ai pas encore trouvés…  Pour le moment je sors mon dernier disque, il y a cinq morceaux dont deux tracks ambients instrumentaux, mais l’idée de ce dernier est plutôt indie rock, combinée à une ambiance un peu dreamy… Le truc en plus de ce disque c’est de montrer que je ne me cantonne pas à l’ambient, j’explore aussi le registre low fi indie rock.

 

 

Comme l’explique simplement Marc Fournier, l’ambient offre différents niveaux d’écoute, de lecture, sans en imposer aucun. Une sorte de voyage quelque part entre le classique et l’expérimental. Contrairement à des musiques structurées par un schéma plus pop, n’as tu pas l’impression que cette musique évoque également notre fragile passage sur terre ?

 

Avec l’ambient, ou le type de musique que je compose, il n’y a rien qui te dise comment te sentir… Cela te donne juste un espace, de l’espace, un reflet de l’espace. Il n’y a pa d’histoire imposée, alors on se crée la nôtre… On s’assoit, on ferme les yeux et on écoute. J’adore cette musique parce que collectivement cela nous touche individuellement.

 

L’imaginaire est propice aux images, tu m’intéresses également à la vidéo ?

 

L’un de mes rêves serait de composer des musiques de films. J’adorerais collaborer avec des vidéastes. Le mariage de la musique et des images m’a toujours excité. J’ai donné mon premier concert à Vancouver cette année, un live show de cinquante minutes. En plus de la musique j’ai aussi créé le visuel projeté derrière moi, c’est une vidéo de vagues qui s’écrasent sur une plage. J’ai un programme pour y ajouter des textures et des couleurs, c’est très psychédélique, les images changent toutes les quarante secondes. Je suis très content, j’espère pouvoir retourner bientôt sur scène.

 

Gohj-ji
DR Gohj-ji
Tu as commencé la musique il y a seulement deux ans de façon autodidacte, les nouvelles technologies offrent aujourd’hui d’incroyables possibilités pour s’exprimer, mais que penses-tu de l’hyper connectivité, de l’intelligence artificielle ?

 

C’est super-flippant ! Parce que c’est si simple de se perdre, c’est inquiétant de voir ou cela va nous mener. Quand tu grandis tu n’a pas vraiment l’impression de savoir encore qui tu es et de qui tu veux être dans ce monde, en plus il y a une identité à gérer sur les réseaux sociaux, et il y a beaucoup de crises d’identité des réseaux. Je le vois avec Facebook, ou Instagram, sur de nombreux ados. Idem sur moi en grandissant. Cette idée de fuir de l’instant présent avec l’intelligence artificielle, tout le monde va vouloir le faire, et tout le monde va le faire… On le fait déjà un peu, mais cela va s’accentuer, et cela me fait flipper. C’est un peu comme si les conversations naturelles étaient déjà mortes, dans les rues de Vancouver tout le monde se concentre sur son téléphone, des groupes d’amis chassent des Pokémons, et cela me rend bien triste. Les gens semblent si ennuyés que pour s’éclater ils ont besoin de ces choses, ces jeux, ces smartphones… D’un côté on peut tous être connecté et oeuvrer pour le bien, mais finalement on se détache assez rapidement les uns des autres, et malheureusement bien davantage que ce que l’on peut en penser.

 

Ferme les yeux et imagine à quoi ressemble le monde, si d’un coup d’un seul tous les smartphones cessent de fonctionner…

 

Ils sont tous flippés ! On prend parfois plus conscience des choses quand elles ne sont plus là…
Gohj-ji rêve de voyages et de rencontres. Lorsque l’on parle d’Europe il souhaite arpenter les rues de Paris, puis de “s’asseoir au café avec un journal, rencontrer une jolie fille et avoir ces incroyables conversations romantiques sur la vie et l’amitié (…) c’est quelque chose que j’attend avec impatience.”

Fondateur de Houz-Motik, coordinateur de la rédaction de Postap Mag et du Food2.0Lab, Cyprien Rose est journaliste indépendant. Il a collaboré avec Radio France, Le Courrier, Tsugi, LUI... Noctambule, il œuvre au sein de l'équipe organisatrice des soirées La Mona, et se produit en tant que DJ. Il accepte volontiers qu'on lui offre un café...

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