LP Mirror at Night

Traversées obscures : plongée dans Mirror at Night

4 min de lecture
Démarrer

Entre sol devenu seuil et plafond devenu plancher, Mirror at Night s’ouvre comme un passage interdit ; ni tout à fait chambre, ni tout à fait monde. Dans ces douze vignettes suspendues, Eric Angelo Bessel explore la zone trouble où passé, présent et futur se confondent, dans une lente dérive de sons, de textures et d’ombres

Publié sur Lore City Music, Mirror at Night confirme la singularité de Eric Angelo Bessel, compositeur et photographe de Portland : une musique ambient qui se souvient d’avoir été autre chose, une mémoire diffuse traversée d’échos. Les nappes se plient, les cordes se tordent, les souffles se perdent ; tout bouge lentement, à la lisière du visible. Un disque contemplatif, presque spectral, où l’émotion circule par transparence…

Le seuil n’est jamais qu’un seuil

Photo Lore City Music
Eric Angelo Bessel DR Lore City Music

Dès les premières secondes, on sent ce glissement entre les plans : la matière sonore flotte, se décolle du sol. Bessel, déjà familier des explorations introspectives avec son projet Lore City, s’aventure ici dans un espace encore plus dénudé. L’ouverture agit comme un vertige calme : pas de rythme, mais une suspension. On entre comme on franchit une porte entrouverte ; sans trop savoir si l’on doit passer. Le temps comme liquide, la mémoire comme douleur : « The aching knee of memory twinges at a red light », l’image résume à elle seule la tension du disque. Mirror at Night se joue dans ce battement entre ici et là-bas, entre ce qu’on se rappelle et ce qu’on redoute de retrouver. L’auditeur avance à tâtons dans une brume sonore, nappes de cordes, respirations électroniques, halos de réverbération, comme s’il traversait sa propre mémoire.

« I believe that art is a means for deep communication and emotional transformation. » – Eric Angelo Bessel

Les fantômes de la modernité

Photo Eric Angelo Bessel
Eric Angelo Bessel DR

Comparé à The Caretaker par SPIN pour sa façon d’utiliser des outils contemporains afin de créer des sons d’un autre âge, Bessel fabrique un temps parallèle. On croit entendre un enregistrement oublié du début du XXᵉ siècle, mais la précision du mix et la maîtrise des textures trahissent un geste d’aujourd’hui. La musique semble appartenir à plusieurs époques : hantée par ce qu’elle fut, hantant déjà ce qu’elle deviendra. Entre-deux mondes… Mirror at Night n’est pas un album à écouter distraitement. C’est une œuvre d’attention lente, une traversée des zones médianes : entre l’organique et l’électronique, entre la lumière et l’ombre, entre le souvenir et la présence.

En s’y abandonnant, on découvre une forme d’écoute méditative, presque rituelle. Chaque morceau agit comme un miroir sans cadre : ce que l’on y voit dépend de ce que l’on apporte. Eric Angelo Bessel signe un disque où rien ne cherche à briller, mais tout résonne longtemps après. Dans Mirror at Night, les sons deviennent surfaces, les surfaces deviennent passages. Un album pour celles et ceux qui préfèrent la lueur à la lumière, et qui savent que, parfois, le plus court chemin entre deux mondes passe par un reflet.

Buy Me A Coffee

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.

Photo Ante
Article précédent

Vinyle au comptoir : pourquoi les “listening bars” réinventent la nuit