LP Drafts

Les machines de Baklu respirent sous la pluie ; mélancolie électronique de l’instant

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Abandonnant les samples et les beat machines pour les cassettes, les synthés et des fragments de réel captés sur le vif, Baklu façonne avec Drafts une electronica intime, brumeuse, où la nostalgie se mêle à un sens presque artisanal du son. Un geste discret, minimal, mais d’une précision qui impose le respect

Avec Drafts, le musicien krakowien Baklu poursuit le virage amorcé après son aventure au sein du Himalaya Collective : moins lo-fi hip-hop, plus ambient tactile, texturée, enregistrée à hauteur d’âme. Entre immersions synthétiques, souffles de bande, distorsions instables et échos de terrain, Baklu esquisse une cartographie sensible de son monde intérieur, plus méditative qu’elle n’y paraît, et toujours traversée d’un fil hip-hop ténu mais bien réel…

Machines souples, mémoires fragiles

Photo Baklu
Baklu DR

Les anciens beatmakers qui délaissent les pads pour des synthés poussiéreux et des cassettes bricolées ne sont pas légion. Baklu, venu de la scène hip-hop instrumentale polonaise, et plus précisément du Himalaya Collective qui, depuis 2017, a façonné une bonne partie du son lo-fi local, avance dans cette direction avec une lucidité presque tactile. Le geste est simple : ralentir, écouter, accepter que la bande magnétique vibre, se gondole, murmure. Drafts prend racine dans ce ralentissement. Pas une revendication, plutôt une dérive assumée où chaque texture semble dire : “Je ne suis pas parfaite, mais j’existe.”

Textures en suspension : ici, les synthétiseurs tiennent le rôle principal. Les pièces sont dessinées comme des esquisses : nappes flottantes, arpèges lumineux, accords effleurés au piano ou à la guitare. La matière sonore respire, tremble, se déforme dans la réverbération. Les imperfections typiques des cassettes, pitch qui flanche, souffle persistant, ne parasitent pas la musique : elles sont la musique. Baklu les utilise comme on laisserait un pinceau couler contre une feuille trop humide. On retrouve par endroits l’ombre de Boards of Canada, la douceur diaphane de Tycho, l’économie d’un Brian Eno, le patient effritement d’un Basinski. Mais rien ici n’imite, l’artiste polonais absorbe ces influences pour en extraire un climat très personnel, presque domestique, comme si tout se déroulait dans une petite pièce encombrée de machines et de carnets.

« I like sounds that feel like they’re falling apart, but still hold together somehow. » Teebs, (LA Record, 2014).

L’empreinte du réel

Photo Baklu
Baklu DR

Les rares “samples” présents sont en fait des fragments de terrain. Baklu capture des sons autour de lui, pluie, circulation, bruits anodins, puis les laisse se fondre dans ses compositions comme des souvenirs trop nets pour être totalement abstraits. Ses vidéos Instagram en témoignent : on le voit manipuler des synthés, créer des loops sur cassette, enregistrer dehors sans chercher à épurer le monde. Cette transparence dans le processus participe à la force de l’album. Rien n’est surproduit. Le réel s’invite, se glisse dans les interstices, donne une chair à des morceaux qui, sans cela, pourraient sembler éthérés. L’équilibre est millimétré : aérien, mais pas désincarné.

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Une ambient habitée par le hip-hop ? Ce qui reste de son passé de beatmaker affleure dans la structure des morceaux. Beaucoup pourraient devenir des instrumentaux chillhop en y ajoutant une rythmique. Les répétitions, les motifs cycliques, les micro-variations rappellent que Baklu vient du loop, de l’économie, du “moins pour dire plus”. Tout l’album baigne dans une spiritualité discrète : calme, contemplative, presque cinématographique. C’est une musique qui réchauffe sans flatter, qui apaise sans endormir. Une musique d’automne, mais pas l’automne triste ; plutôt celui où l’on laisse la fenêtre ouverte juste pour entendre la pluie. Drafts rappelle qu’il existe encore des manières lentes, sensibles et artisanales d’habiter l’electronica. Et si Baklu continue d’explorer ce territoire avec autant de justesse, les saisons à venir pourraient bien s’y installer durablement.

 

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Antoine Brettman est un bricoleur d'images et de sons... Son travail s'inscrit dans le courant de l’art vidéo par la réappropriation d'œuvres audiovisuelles, où il exploite la virtualité des images afin de confronter au monde réel son recyclage d'histoires.

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