LP Pristine

PRISTINE : deux architectes du son redéfinissent le vide

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Au départ, deux villes éloignées : Le Cap et Johannesburg. À l’arrivée, Pristine, un album construit comme un bâtiment mental, sculpté à quatre mains par Chris Wood et Albert Sapsford. Un opus né dans le silence du confinement mondial, où l’espace intérieur – celui de l’écoute, du doute et de l’attention – se transforme en matériau brut

Entre modularité rigoureuse et exploration psychique, Pristine navigue dans un territoire où l’architecture rencontre l’ambient électronique. Le disque, à paraître chez Pharmafabrik, médite, respire et avance par strates. Il pose une question simple, presque fragile : que reste-t-il à construire lorsqu’un monde entier s’immobilise ? Et l’écoute devient une réponse possible, un mur, un couloir, un passage…

Construire avec le silence

Photo Albert Sapsford
Albert Sapsford DR

Dans la carrière de Chris Wood, l’architecture n’est pas une métaphore confortable : c’est une discipline, une façon de dessiner le son. Ses travaux antérieurs – Palimpsest (2004), Misoneism (2006), ses contributions à la série Fabriksampler – cultivent déjà un goût pour les espaces ajourés, les volumes respirants, les structures à peine suggérées. Dans Pristine, cette approche prend un relief particulier. Chaque pièce semble construite à partir d’un plan invisible, où le piano sert de pilier, de ligne porteuse, tandis que les synthés modulaires forment des cloisons mouvantes, parfois translucides. Rien n’est posé au hasard, les silences eux-mêmes deviennent matière.

Spatialiser l’incertitude. Face à cette rigueur, Albert Sapsford apporte un autre mouvement, celui d’une psyché qui vacille, qui hésite, qui avance en oscillations. Son travail sur les systèmes modulaires logiciels et l’algorithmique injecte des zones d’instabilité au sein de l’édifice. Les textures se dédoublent, se défont, se recomposent. Le disque porte la trace du confinement, non pas comme thème revendiqué, mais comme empreinte. Un monde réduit à l’intérieur, aux murs, aux respirations. Les couches électroniques résonnent comme des pièces trop grandes ou trop vides, dans lesquelles on tente de circuler sans se perdre.

« L’architecture est le jeu savant, correct et magnifique des volumes assemblés sous la lumière. » – Le Corbusier (Vers une architecture – 1923)

L’espace comme récit

Photo Chris Wood
Chris Wood DR

Écouter Pristine, c’est se déplacer. Pas seulement de morceau en morceau, mais d’un volume à un autre. Certaines pièces ouvrent des arches sonores, d’autres se resserrent comme des escaliers de service. Le piano revient comme un repère, un seuil. Les nappes synthétiques s’allongent comme des couloirs, parfois lumineux, parfois opaques. Ce jeu d’espace n’est jamais démonstratif. Il demeure vécu, traversé. La musique ne se contente pas de représenter un état intérieur : elle l’agrandit, le projette, le rend habitable. On ne sait plus si l’on se trouve dans une pièce physique ou mentale, ce flou est précisément l’une des réussites du disque.

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Le futur comme chantier ouvert. Pharmafabrik publie ici un disque qui prolonge son histoire, tout en lui offrant un détour inattendu. Pristine est moins sombre que nombre de publications du label ; il préfère la clarté fragile, l’épure, les espaces déliés. Il ne cherche pas à rassurer, mais à organiser le chaos, comme un architecte qui, face à un site difficile, pose les fondations, patiemment. Le duo ne propose ni solution, ni catharsis immédiate. Seulement une trajectoire. Un passage d’un point vers un autre. Une manière d’habiter l’incertitude. La lumière est ici sonore, mais l’idée demeure, Pristine assemble des volumes, des ombres, des respirations. Et dans cet agencement calme, presque suspendu, il laisse deviner un avenir, celui d’une écoute bâtie avec soin, avec patience, avec lucidité. Dans un monde qui manque de repères, Pristine rappelle qu’on peut toujours reconstruire, un espace, une présence, une attention, et que la musique, parfois, est le premier matériau de ce renouveau discret.

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