Joakim, artiste Samuraï contemporain

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Joakim présente Samuraï ! Expatrié à New York depuis cinq ans, l’artiste trace son sillon loin des sentiers battu. Nous l’avons croisé à Paris, en pleine campagne de promotion, pour la sortie du disque, le 17 mars 2017

 

En 1999, alors que la French Touch alimente encore toutes les conversations, Joakim Lone Octet sort l’album Tiger Sushi sur Future Talk, une sous-division du label Versatile. Si Joakim fuit les compromis et souhaite s’affranchir des étiquettes, il appartient tout de même à un registre artistique : celui des personnalités qui revendiquent une totale liberté, et qui refusent de sous exploiter l’étendue de leur talent.
Multicartes, “slasheur”, il signe de formidables prescriptions musicales lors de ses DJ sets et sur ses labels, Tigersushi et Crowdspacer, dont il crée la majorité des pochettes et des visuels. Avec sa casquette de producteur il soigne Zombie Zombie, Poni Hoax, !!! Chk Chk Chk, Juvéniles… Il remixe et revisite les oeuvres de Charlotte Gainsbourg, Todd Terje, Antena ; bichonne le design sonore et musical des bandes-son des défilés Chanel, Margiela, Balenciaga ; crée la ligne Tigersushi Furs avec sa cousine et ajoute son nom à la liste des artistes contemporains à suivre lorsqu’il signe ses installations sonores, ou participe à celles de Camille Henrot… Joakim fait ce qu’il sait faire, et surtout, comme il veut le faire !

 

“Tant que je peux continuer à faire comme que je l’entends, je le fais ! Après, on verra combien de temps cela peut durer.”

 



Samuraï est probablement son oeuvre la plus introspective, ce sixième album dévoile une création synthpop et electro, à la fois moderne et vintage. Le producteur, qui explore le concept “less is more” sans tomber dans le minimaliste, savoure un processus fait de spontanéité, de collages et d’illustration sonore. Joakim suit ses intuitions, il ouvre parfois le micro de son téléphone et capture des fragments sonores de la ville de New York, où il s’est installé il y a déjà cinq ans.

 

“je documente souvent ce que j’entends et ces enregistrements se sont retrouvés dans plusieurs passages du disque nous ramenant à cette idée de la déambulation urbaine.”

 

Joakim - Samouraï by Lena Shkoda
Joakim © Lena Shkoda

 

Ce sixième album est un disque métissé, son quotidien urbain est accompagné de sa fascination pour le pays du soleil levant. L’artiste évoque la lecture de l’ouvrage “Le Japon moderne et l’éthique samouraï”, de Mishima, et lorsque l’on cherche parmis les possibles origines des Samuraï, on trouve les Kugutsu, des nomades qui parcouraient le pays avec leurs spectacles de marionnettes et d’acrobaties. Difficile alors de ne pas faire un parallèle avec la vie du producteur expatrié, parcourant le monde avec ses concerts et ses DJ sets.
“Pendant que je travaillais sur cet album j’ai lu le Le Japon Moderne et l’Éthique Samouraï. J’ai été fasciné par la combinaison schizophrénique d’idées iconoclastes, progressistes, ultras lucides et d’autres incroyablement conservatrices. Mishima n’avait visiblement pas peur des contradictions, un personnage complexe, ce qui m’a tout de suite charmé étant irrémédiablement attiré par la non-conformité. Malheureusement la complexité n’est pas très populaire ces temps-ci, elle ne vend pas”.
Non conforme, c’est ce que l’on peut probablement dire de Samouraï avec une première écoute en surface. En profondeur sa musique évoque une forme de dualité entre l’idée que l’on se peut se faire du monde et tel qu’il l’est réellement. Joakim joue à cache cache entre zones de confort et mise en danger, et élabore un travail d’équilibriste sonore. Ce disque c’est un peu son armure de Samouraï ; l’artiste y expose ses fascinations nippones (Ryuichi Sakamoto, Haruomi Hosono, Ghost In The Shell, Akira, Mariah, Midori Takada ou encore Hiroshi Sato…), ainsi que son côté “Kraut” et son goût pour l’ambient cluster de Brian Eno. Sa voix exprime parfois cette forme de duplicité, notamment sur les titres Numb, Time is Wrong et Mind Bent. Discrète mais bien ancrée à l’ensemble, parée d’effets, elle brouille les pistes, les codes de genre et de personnalité. Son masque de combat est alors unique, on en aperçoit d’ailleurs une déclinaison façon Kabuki sur la vidéo de Numb, lorsqu’il incarne un “youtubeur” make up en mode confession.

 

“Il y a une fonction un peu cathartique aussi, la musique sert à exprimer et communiquer les choses que tu ne peux pas faire autrement…”

 

Joakim envisage un album comme un tout. Comme de nombreux artistes il souhaite que le public prenne le temps d’écouter le disque dans sa longueur, et d’ailleurs, comment ne pas imaginer aller jusqu’au bout d’un moment de détente ? Côté détente Tigersuhsi et Because Music nous ont invité à écouter Samuraï au salon de massage Yuzuka (Paris VII). L’expérience musicale et tactile s’avère surprenante et complémentaire, et surtout bien agréable lorsqu’un “haut du dos” habituellement tendu se relâche enfin. Samuraï se déguste en moins d’une heure, sachez le savourer. Morceaux préférés : In The Beginning, Samouraï, Green Echo Mecha, Through The Prospect Park Arch, Time Is Wrong, Not Because You’re Sad, Hope / Patience.
Pour se plonger dans l’univers de Joakim, et de Samouraï, l’artiste propose un week-end release party au club SALÒ les 30, 21 mars et le 1er avril, soit trois nuits en forme d’hommage à l’avant-garde New-Yorkaise, avec une programmation musicale, vidéo et d’art contemporain.

Interview

Houz-Motik : si le téléchargement a changé la façon d’acheter et d’écouter de la musique, le streaming facilite-t-il pour autant l’écoute d’un disque dans sa durée, sans pause ?
Joakim : j’ose espérer que cela encourage un tout petit peu plus l’écoute d’albums en entiers, mais je n’en suis pas sûr…
HM : l’introduction est donc assez importante.
Joakim : les premiers et les derniers morceaux sont mégas importants.
HM : l’’ouverture est tout particulièrement réussie ! Dès la première écoute, ta musique illustre des moments de vie, selon des lieux. D’un soleil matinal caressant à la fluidité dans les transports, ou encore une belle soirée d’été… L’équilibre entre urbanité et ruralité est simplement parfait, et cette intro raconte plein de choses !
Joakim : c’est exactement le but recherché quand je fais de la musique, que chacun puisse voir et ressentir des choses, que chacun puisse y voir ce qu’il veut en fait. Le musicien pose seulement ses bases.
HM : eh bien ça marche, alors merci, et à bientôt !
Joakim : (rires)
HM : de la même manière qu’un photographe fige en image un instant de vie, penses-tu que le musicien traduit ce genre d’émotions et de temporalité, en musique ?
Joakim : je ne pense pas que je vois les choses de manière si ambitieuse. C’est plus une approche personnelle, un besoin personnel, évidemment il y a peut-être un peu l’idée de la durée et de l’immortalité, comme chez n’importe quel créateur, mais témoigner de l’humanité, je ne pense pas que je puisse aller jusque-là. Il y a une fonction un peu cathartique aussi, de communiquer les choses que tu ne peux pas faire autrement…

HM : musicalement, les années 80s ont été si riches et variées qu’elles influencent encore la majorité des productions, notamment dans les musiques actuelles. Du mainstream des tubes formatés aux oeuvres moins conventionnelles, ou plus pointues. J’ai l’impression que l’on s’intéresse désormais davantage aux influences plus élaborées, est-ce que cela témoigne du fait que l’on aurait fait le tour des années 80, et que l’on se focalise enfin sur une certaine forme de sa quintessence ?
Joakim : pour moi oui c’est sur. Cela a toujours été une intention de préserver, de prolonger, et de faire revivre un pan de la culture musicale qui est souvent oublié. C’est aussi l’idée de créer un accès à cette musique-là, parce que effectivement il n’y a pas un grand intérêt à faire découvrir la musique mainstream de cette époque. En revanche, faire redécouvrir ce genre de disques oui, c’est pour cela qu’au départ j’ai créé Tigersushi, avant de même faire beaucoup de musique, c’était déjà avec cette idée. Bizarrement on pensait que l’accès à Internet allait permettre aux gens de retourner plus facilement vers ça, et en fait ce n’est pas vraiment le cas, c’est presque le contraire. Il y a une omniprésence du mainstream, et il me semble que c’est une des responsabilités du musicien de préserver l’ouverture. J’appelle ça l’hétérogénéité, le fait de lutter contre l’homogénéité.
HM : penses-tu qu’il y a une dimension érotique dans ton travail, y prêtes tu une attention particulière ?
Joakim : ça c’est une bonne question, que l’on ne m’avait jamais posée… hmmm
HM : bien entendu, il y a surement une différence entre faire de la musique seul ou en groupe…
Joakim : Ah, tu veux dire le côté masturbatoire, onanique ?
HM : chacun son truc (rires)
Joakim : (rires)
HM : peut-être davantage le terme sensualité, comme lorsqu’on peaufine une ligne de basse par exemple…
Joakim : je suis assez attaché à l’idée qu’il faut qu’il y ait une sensualité dans la musique, d’autant plus que j’ai une tendance naturelle, ou peut-être une aisance naturelle à la cérébralité. Pour moi c’est donc important de retrouver cette sensualité, cette viscéralité. Oui, j’aimerais qu’il y ait quelque chose de sexuel dans la musique. Après, dans le fait de faire de la musique seul il y a aussi une part de masturbation, c’est évident, il faut épurer mais, hmmm… En tout cas je vais y réfléchir !

HM : l’album comporte aussi cette référence amusante aux youtubeurs, notamment avec Numb
Joakim : oui, c’est un peu une blague, il s’agit de détourner le phénomène viral des tutoriels que l’on trouve dans tous les domaines, et la plus particulièrement sur le maquillage, je trouvais ça rigolo. C’est souvent des femmes, en tout cas c’est majoritairement des femmes, et parfois des transgenres, mais je trouvais amusant de me transformer moi ! De mettre un masque, et en même temps de jouer sur cette imagerie un peu désuète de ces tutoriels.
HM : quel est ton regard sur l’évolution du marché de la musique ? Est-ce difficile de jongler entre toutes tes casquettes, patron de label, musicien, graphiste, DJ…
Joakim : en fait je ne suis pas un très bon patron de label (rires). Ce que je veux dire c’est que je fais uniquement cela par passion. J’ai du mal à avoir une approche très business du truc, un peu malheureusement parfois.
HM : cela participe néanmoins au succès de Tigersushi, ton label.
Joakim : oui, et c’est pour cela qu’il y a des artistes qui viennent vers nous, car ils ne se sentent pas connectés avec d’autres structures. En fait, pour moi passer d’une activité à une autre ne relève pas de la schizophrénie car je suis rarement en train de penser à des stratagèmes. Bien évidemment je suis au courant du fonctionnement, mais je ne bosse pas tout seul, je suis surtout sur la partie artistique. Mais cela m’a vachement aidé en tant que musicien, parce que avec le label j’ai rencontré plein d’autres musiciens avec qui j’ai collaboré, ou joué dans des groupes. C’est de l’émulation, et je trouve qu’il n’y a rien de mieux que l’émulation.
HM : l’avenir de Joakim sera donc concentré sur l’échange, l’émulation, et inaliénable refus des compromis ?
JK : si ce n’est pas le cas je crois que j’arrêterai, cela me dégouterait… Tant que je peux continuer à faire comme que je l’entends, je le fais ! Après, on verra combien de temps cela peut durer.

Joakim : New York, c’est chouette !
HM : tant que cela ?
Joakim : ça dépend de quel point de vue, mais pour l’inspiration et la création, c’est génial.
HM : est-ce une ville difficile ?
Joakim : oui bien sur, mais ce n’est une ville difficile, c’est une ville dure ! Je trouve que Londres est encore plus dure. Ce truc anguleux, et les sentiments de différences de classes sont bien plus violents à Londres. À New York il y a effectivement des écarts hallucinants, mais il y a tellement de mélanges, et je ne sais combien de nationalités…
HM : c’est Babylone 3.0 ?
Joakim : c’est Babylone et c’est assez fascinant d’y être, d’y vivre. C’est un des seuls endroits où tu as l’impression d’être au centre de la terre.
HM : Le sax qui revient dans l’album sonne très New-yorkais, un peu comme une carte postale sonore…
Joakim : oui, il y a ce morceau, “Through The Prospect Park Arch”, où j’ai incorporé un enregistrement que j’avais fait dans la rue en sortant d’un parc… Je me souviens très bien, c’est le soir, j’entends un sax qui joue super bien, et je me rapproche avec mon téléphone. Je bossais sur ce morceau, et je me suis dit, “tiens, si j’essayai de coller ce truc de sax !”. Et ça a marché, pile poil dans la gamme, c’était magique.
Joakim, artiste Samuraï contemporain
DR Joakim

 

HM : c’est important de suivre ses intuitions !
Joakim : oui, c’est très inspirant car il y a toujours un truc à voir à NYC, à entendre, juste en étant dans la rue. Et puis pour les musiciens, le niveau est dingue. c’est extrêmement compétitif mais c’est aussi pour cela que le niveau est élevé. Parce qu’il faut être le meilleur pour s’en sortir, et il n’y a aucune sécurité de l’emploi, c’est hardcore. C’est dur, mais pour faire de la musique c’est assez incroyable.
HM : sur ce morceau, “Through The Prospect Park Arch”, j’ai eu l’impression de me retrouver durant quelques secondes dans une chanson de Louis Chedid, « ainsi soit il” plus précisément !
Joakim : Louis Chedid…? hmmm, ah ouais, dans la gamme.
HM : ça vient forcément des synthés de l’époque.
Joakim : carrément ! C’était que du synthé et des boîtes à rythmes. J’adore Louis Chedid à cette époque, je trouve ça génial. D’ailleurs, mon pote Kindness avait fait une reprise d’ “ainsi soit il” et il ne l’a malheureusement jamais sorti, elle était chouette, avec son accent anglais c’était mortel !
HM : il faut la sortir, sur TigerSushi ?
Joakim : ah… Il ne voudra jamais… Non, mais j’aime beaucoup, donc je valide !
Joakim – Samouraï (Tigersushi / Because)
Sortie le 17 mars 2017
 

Fondateur de Houz-Motik, Cyprien Rose est journaliste. Il a été coordinateur de la rédaction de Postap Mag et du Food2.0Lab. Il a également collaboré avec Radio France, Le Courrier, Tsugi, LUI... Noctambule, il a œuvré au sein de l'équipe organisatrice des soirées La Mona, et se produit en tant que DJ.

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