ZANOV, ses univers

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Dans les années 70, la France compte quelques musiciens électroniques modernes et inventifs, on pense évidemment à Jean Michel Jarre. D’autres, comme ZANOV, ont un parcours plus discret mais tout autant passionnant. Après une pause de plus trente ans, l’artiste présente Open Worlds


Aride ou glaciale, l’expression “Traversée du désert” traduit une absence artistico médiatique parfois douloureuse, une formule pas vraiment adaptée au parcours de ZANOV qui, depuis son plus jeune âge, savoure sa “traversée cosmique”. Ses trois premiers albums, parus entre 1976 et 1982, ont atteint le statut d’albums cultes auprès des férus de musique électronique. Le jeune ingénieur Supelec a une autre passion, l’informatique. Après avoir dirigé le département de l’innovation chez Bull, et travaillé sur le Big Data, le Cloud computing, l’Internet des objets et les applications, l’heure de la retraite sonne son retour à la création sonore. Virtual Future (2014) album de transition entre le passé et le présent ouvre la voie à Open Worlds (2016), un écrin stylistique, et totalement numérique, de neuf mondes inconnus, surprenants et merveilleux.

J’ai toujours eu l’esprit tourné vers le futur ! (Zanov)

 

Portrait

“J’ai essayé le piano mais on me tapait sur les doigts à chaque erreur, j’avais droit à un carré de chocolat en fin de séance en guise d’encouragement. Cela m’a contrarié avec la musique classique, notamment “Für Elise” de Beethoven, finalement je n’y allais que pour le chocolat… (rires) (…) Si au piano j’étais nul, à la guitare j’étais relativement moyen, j’essayais de faire des sons mais cela ne me convenait pas.”

 

Pierre est l’un des cinq enfants de la famille Salkazanov qui vit chichement dans un petit appartement parisien, immortalisée par l’oeil bienveillant de Doisneau dans sa série de portraits des différentes classes sociales peuplant l’après-guerre de Paris. Un logement plus grand les accueille à Saint-Denis. La famille est modeste mais possède un piano. La mère du petit Zanov en jouait et l’une de ses amies l’enseigne. Il essaye mais il en est vite dégoûté. À dix-sept ans il souhaite se payer une mobylette et une guitare, le choix est difficile et c’est un peu influencé par le rock de l’époque que la musique a raison de son premier salaire. Avec d’autres personnes ils fondent “Les Ambassadeurs”, un petit groupe avec lequel ils jouent des reprises dans quelques bals, en amateur.

 

ZANOV studio
Le premier studio de ZANOV (1976) © Archives Privées Pierre Salkazanov

 

Au début des années 70 il compense son envie de créer des sons avec sa petite radio et les bruits émis lorsqu’il change de station, et quand il bouge l’antenne. Pour lui tous les sons peuvent être de la musique, il s’immerge dans l’étude de la synthèse sonore à travers les œuvres de Pierre Schaeffer et de Pierre Henry, il étudie la perception musicale ainsi que la psychoacoustique et la psychologie de la musique. Son but ? Comprendre les relations entre les structures et les émotions sonores. Dans les boutiques de musiques Londoniennes il croise la route de Serge Ramses, un Français amateur de synthés qui lui montre quelques trucs avec lesquels il peut s’exprimer. Le résultat ne se fait pas attendre, il casse sa tirelire et contracte un crédit pour s’offrir un VCS3, puis un magnéto TEAC quatre pistes, un Revox A77 et une petite table de mixage. À la fois créatif et exigeant, il enregistre Green Ray, son premier album.

 

ZANOV Green Ray

Pierre distribue cinq ou six K7 aux quelques personnes qu’il croise dans les boutiques à Pigalle, l’un d’eux lui annonce qu’un producteur, Alain Gross, est intéressé par son travail. Après avoir signé avec Polydor ce dernier lui propose un contrat, en décembre 1976 le musicien choisi “Zanov” comme nom de scène. Les magazines gratuits spécialisés en musiques électroniques n’existent pas encore, Jean-Michel Jarre éclipse pratiquement tout le monde sur son passage mais Zanov récolte des critiques élogieuses dans les magazines populaires de l’époque. Rock & Folk, Rock in Stock et Best saluent son innovation dans le domaine de la création sonore, son nom s’ajoute à la liste de ceux qui ont joué au Golf Drouot, au planétarium et au Lazer, le club au sous-sol de l’Olympia (à l’époque). Le studio accueille ensuite un ARP 2600, un RMI et un PS 3300.

 

Après une vingtaine de concerts (Paris, Grenoble, Rouen, Poitiers…) il réalise la difficulté de tourner seul. Les journées sont longues : l’imposant équipement est sensible aux écarts de température et d’humidité, il est laborieux à installer, au moins quatre heures de configuration sont nécessaires avant les concerts, parfois donnés à l’autre bout du pays. Puis son producteur se fâche avec Polydor, le second album n’est fabriqué qu’à 3000 exemplaires, le contrat est rompu. Son troisième album, In Course Of time, est finalement signé par Ondes (1982), et un éditeur Canadien (Les Disques Solaris) lui fait un contrat pour ce pays. Après ce disque, l’artiste se concentre professionnellement sur sa seconde passion, l’informatique, toujours avec cette ouverture sur le monde et ses évolutions…

 

ZANOV live Laser Olympia
ZANOV, Laser Olympia Hall (1977) © Archives Privées Pierre Salkazanov

 

 

 

Interview

Qu’écoutais tu dans les années 70 ?

 

Pas grand-chose, un peu les Pink Floyd (welcome to the machine), Ricochet de Tangerine Dream, Genesis… Mais Kraftwerk ce n’était pas mon truc, ni Klaus schulze à part quelques exceptions. Il y a aussi tous les trucs que j’ai entendus sans vraiment écouter, et plus tard j’ai pas mal écouté “Dream Theater“, un groupe de métal quelque part à la croisée du jazz et de Pink Floyd. A pars quelques exceptions, quand j’écoute une musique je la réécoute rarement une seconde fois. Je l’écoute, je l’analyse, j’essaie de comprendre comment c’est fait.

 

Les musiques électroniques attirent les foules avec de grands festivals, quelle est ton opinion sur des courants comme la techno, la house et leurs dérivés ?

 

Une grosse partie des musiques électroniques sont des musiques de danse, et tu l’aura remarqué, ce n’est pas mon cas. J’ai horreur de la boîte à rythme, je reconnais que cela peut être bien utilisé et assez varié, mais ce n’est pas mon truc… Les sons de percussions dans ma musique je les fabrique moi-même, et ils sont inclus à mes séquences. Je n’aime pas quand il y a un “boum boum” trop répétitif, en fait j’adore la batterie quand il y a beaucoup de nuances, de sons, quand c’est riche, et qu’il y a des surprises, malheureusement les musiques avec des boîtes à rythmes sont souvent un peu trop minimalistes. J’avais acheté une TR808, je l’ai essayé et finalement je lai surtout utilisée pour driver mon séquenceur.

 

ZANOV studio
ZANOV dans son studio (Plaisir – Paris, 1980) © Ninou

 

Quelle est ta principale source d’inspiration ?

 

Le futur, le devenir de l’humanité, mon rêve serait de vivre longtemps, pas dans 100 ou 200 ans, j’aimerais surtout savoir ce qui se passera dans un million d’années, ce serait le pied si je pouvais me projeter dans un million d’années ! Dans pas mal de mes titres il y a des notions de temps. Je suis également inspiré par la théorie du chaos. La vie est faite de périodes soit relativement stable, comme lorsque tu te reposes chez toi, soit plus critiques, comme lorsque tu décides par exemple d’escalader une montagne, il peut t’arriver plein de choses… Le but c’est de trouver un équilibre à la frontière du chaos.

 

Dans les années 60-70, la littérature SF est assez dense, elle évolue vers davantage de critique de la société, c’est un registre qui t’as également influencé ?

 

C’est la seule chose que j’arrive à lire (rires). J’ai plusieurs fois lu tout Isaac Asimov, et pas mal Arthur C. Clark.

 

Comment s’est déroulé ton passage au numérique ?

 

j’ai vendu tout mon matériel en 1992. À mon départ en retraite j’ai acheté un Arturia Origin, j’ai digitalisé tous mes enregistrements depuis 1983, je les ai modifiés et les ai complétés pour recréer l’environnement sonore. Virtual Future est finalement né trente-quatre ans après… Dans cet album, les trois quarts des sons viennent de synthés vintages, et seulement un quart avec l’Arturia.

 

Que penses-tu de cet éternel débat entre passé et présent, analogique et digital ?

 

Dans mon milieu je connais pas mal de personnes totalement fanas des synthés analogiques, et qui ne jurent que par cela, prétextant que le digital n’est pas aussi bon… J’ai deux réponses : tout d’abord sur l’album Virtual Future, qui est capable de me dire ce qui a été fait avec l’Arturia origin ou avec du matériel Vintage ? Ensuite, sur Open Worlds, j’ai beaucoup de commentaires dithyrambiques sur la qualité de mes sons Vintage alors qu’en fait, c’est totalement numérique… Le digital moins bon que l’analogique c’est un mythe.

 

ZANOV studio
DR ZANOV

 

Comment conçois-tu tes compositions ?

 

Un morceau c’est une tranche de vie, avec des parties stables et d’autres plus chaotiques. Lorsque je fais des câblages et des relations pour créer mes sons avec les différents paramètres, Il y a des évènements qui arrivent, des choses qui émergent, certaines disparaissent, d’autres évoluent… Je compose comme cela, à différents niveaux. En tête j’ai le chaos et le fractale (…) quand je fabrique mes sons, soit j’introduis de l’aléatoire avec des LFO non synchronisés, soit j’introduis volontairement des éléments aléatoires. Lorsque je compose j’utilise tous mes synthés, et la base des tous mes morceaux est live, ensuite je fais plusieurs pistes pour ajouter des éléments, et je cisèle au mixage. Cela me permet d’avoir de la consistance.
 
Après Virtual Future, le disque intermédiaire entre le passé et le présent, j’ai acheté un Virus TI en plus de l’Arturia Origin. Je n’utilise pas les presets mais j’ai analysé les sons d’usine du virus. J’écoute et je vois comment cela a été conçu, je me dis “ça je connais ou je vois comment cela a été fait”, en revanche pour d’autres je me demande bien comment cela a été programmé. Sur un Arturia c’est plus simple car il y a les modules, sur un Virus c’est plus compliqué, il faut enlever les éléments un par un… Et puis il y a aussi les effets et leurs paramètres, sur les trois mille sons du Virus j’en ai au moins épluché deux cents… Ensuite avec Protools, je peux utiliser plusieurs fois le virus avec plusieurs pistes, mais toujours avec la même approche depuis mes débuts, la première prise est live. Mes morceaux ne sont pas construits au format couplé refrain, ils ont tous une construction un peu différente, c’est un morceau de vie. C’est comme cela que je ressens la musique, selon moi la musique se définit à trouver un bon équilibre entre l’esthétique, la technique et l’émotion.

 

 
Quelle est ta vision de l’évolution de la conception de la musique ?

 

Suite aux évolutions avec Internet, c’est le collaboratif, c’est faire de la musique à plusieurs, à 10, 100, 1000… Il y a déjà plein de dispositifs, comme interconnecter des smartphones par exemple. Je ne l’ai pas fait, et je ne sais pas le faire, mais je pense qu’il pourrait bien émerger quelque chose d’une musique faite par mille personnes par exemple. Dans la théorie du chaos il y a aussi la théorie de l’émergence, et du système complexe, qui explique comment les choses émergent… Je ne sais pas ce qu’il va arriver, et par définition ce qui émerge sont des choses auxquelles on ne pense même pas. Il va donc se passer des choses qui sont aujourd’hui impensables.

 

Crois-tu que le Graal pourrait être atteint avec la perfection d’interfaces entre le cerveau et les machines ? Des implants pour créer, avec une restitution parfaite, des sons que l’on a pensés, imaginé, rêvé, et cela presque instantanément ?

 

Si tu me demandes quand je ne saurai pas te répondre, mais ce dont je suis sur c’est que cela existera un jour, c’est clair. Les interfaces avec la pensée vont évoluer de plus en plus. L’évolution est drivée par les découvertes scientifiques, qui entraîne de nouvelles pratiques, de nouveaux usages. Pour le moment l’évolution concerne surtout les objets connectés. En ce qui me concerne seul le résultat compte, si je trouve des moyens qui me conviennent je franchirai le cap. Pour le moment j’aimerais refaire du live, et d’un point de vue technologique je suis en train de chercher la meilleure solution pour y parvenir…

ZANOV

 

Dans l’attente d’un retour “live”, ZANOV présente Open Worlds, un disque exigeant et moderne. Si l’ambiance générale flirte avec l’académisme patiné des musiques électroniques cosmiques des années 70, les neuf pièces, plutôt courtes dans ce registre, affichent un onirisme plus luxuriant que les albums précédents. L’élaboration est sophistiquée, le mixage limpide dévoile un florilège de textures riches, au sein d’un univers cinématique.
 
2016 – Zanov Music (CD)
1. Electric Dust Field
2. Next Trip
3. Magical Area
4. Strange World
5. Robot Valley   
6. Signal From Diamond Desert
7. Vital Obscurity
8. Last Secret Time
9. Remote Impact

 

http://www.zanov.net

Fondateur de Houz-Motik, coordinateur de la rédaction de Postap Mag et du Food2.0Lab, Cyprien Rose est journaliste indépendant. Il a collaboré avec Radio France, Le Courrier, Tsugi, LUI... Noctambule, il œuvre au sein de l'équipe organisatrice des soirées La Mona, et se produit en tant que DJ. Il accepte volontiers qu'on lui offre un café...

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