Le groove solaire de Rio fait chavirer la grisaille londonienne. Avec Mostrando os Dentes, le duo Skinshape & Pedro tisse une nouvelle épopée de douceur cosmique, entre bossa nostalgique et rêverie analogique
Camden sous la pluie, des accords de nylon transpercent l’air humide, on imagine un rayon de soleil brésilien. Pedro Mizutani et Skinshape n’ont pas inventé l’axe Rio-Londres, mais ils viennent sans doute d’en écrire une précieuse bande-son… Leur second projet commun, Mostrando os Dentes, souffle une brise mélancolique et chaleureuse sur la sono mondiale. Entre les doigts du jeune Pedro Mizutani et les machines sensibles de Skinshape, se déploie une rêverie douce-amère où groove la saudade. Feutré et audacieux, ce disque a été produit dans l’intimité d’un studio londonien qui déborde de plages invisibles, d’oiseaux lointains et de cœurs trop pleins…
D’un studio londonien à la baie de Guanabara

Novembre 2024, Pedro Mizutani débarque à Londres. Il n’est pas là pour fuir son Brésil natal, mais pour le faire vivre sous une autre lumière. Face à lui, Will Dorey aka Skinshape, musicien-producteur et alchimiste sonore dont le spectre va du dub au psyché, en passant par l’afrobeat. Leur rencontre n’est pas un clash culturel, c’est une fusion : un va-et-vient émotionnel entre deux continents, deux sensibilités, deux héritages. Le disque s’est enregistré “à l’ancienne” : Pedro à la guitare et au chant, Skinshape à tout le reste. Une sorte de tandem secret où chaque morceau semble né d’un regard, d’un frisson ou d’un silence partagé. Une méthode artisanale, mais jamais désuète, au service d’une narration sonore exigeante, poétique, voire cinématographique.
Mostrando os Dentes n’est pas un simple hommage à la musique brésilienne — il est un prolongement vivant de cette tradition. Pedro y puise dans la MPB (Música Popular Brasileira) et la bossa nova comme d’autres puisent dans l’enfance ou la mémoire. Sa voix, presque chuchotée, semble flotter au-dessus d’arrangements subtils, enveloppants, toujours tenus par le sens du détail de Skinshape. Mais ici, pas de pastiche ni de filtre vintage facile. Chaque instrument, chaque souffle, chaque silence raconte quelque chose de l’exil volontaire, du déracinement fécond. On y entend autant Milton Nascimento que Madlib, autant Gilberto Gil que Khruangbin.
“La saudade, c’est ce qu’on ressent quand la musique finit mais continue de vibrer dans le cœur.” — Pedro Mizutani
Un disque pour les cœurs nomades

Ce qui frappe dans Mostrando os Dentes, c’est sa capacité à toucher sans appuyer. Rien n’est démonstratif, tout est suggéré. C’est un album à vivre en mouvement : en promenade, dans le métro, en voiture, ou sur le quai d’un train que l’on ne prendra pas. Un disque pour celles et ceux qui regardent le monde avec les yeux humides et l’âme légère. Pour les amoureux, les solitaires, les curieux. Et s’il fallait choisir un moment-clef, ce serait sans doute Lugar de Agonia, co-écrit par les deux artistes, comme un cœur qui bat en stéréo : celui de Pedro, intime et mélodique ; celui de Skinshape, texturé et enveloppant. Un dialogue de songwriters à travers les océans, sans frontière ni posture.
Mostrando os Dentes n’a pas la prétention de révolutionner la musique. Il s’inscrit dans une filiation douce et assumée, mais vient lui redonner du souffle. Comme si le Brésil n’était plus une géographie mais une émotion, un état d’âme que l’on peut partager en studio à Londres, dans une rue grise et pluvieuse. Et peut-être qu’un jour, à Salvador, São Paulo ou Lisbonne, on écoutera ce disque en savourant une glace avec le souvenir d’un vieux rêve anglais.