Photo Move Ya Body The Birth of House

Move Ya Body: l’onde de choc de la house, entre résistance et renaissance

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Alors qu’il est présenté en première britannique au Sheffield DocFest, Move Ya Body: The Birth of House fait bien plus que retracer l’histoire de la house music : il plonge au cœur d’un combat. À travers les récits de Vince Lawrence et d’Elegance Bratton, le documentaire ressuscite les racines noires et queer d’un son mondialement adoré, né dans l’ombre d’une Amérique raciste, ségrégée, homophobe – et résolument dansante

Avec une force narrative rare, Move Ya Body retrace la genèse de la house music depuis la Disco Demolition Night de 1979 jusqu’à l’explosion des clubs queer de Chicago. Le documentaire, centré sur la figure de Vince Lawrence, raconte comment la tentative de détruire le disco a, paradoxalement, mené à la naissance d’un genre devenu planétaire. Une œuvre engagée et bouleversante qui réaffirme la house comme un langage de résistance joyeuse, à l’heure où les libertés sont de nouveau menacées…

Comiskey Park brûle, la house s’allume

Le 12 juillet 1979, l’Amérique blanche vient brûler ce qu’elle déteste : le disco. À Comiskey Park, lors d’un événement appelé « Disco Demolition Night », un DJ blanc invite les foules à faire exploser des disques entre deux matchs de baseball. Mais les vinyles sacrifiés sont surtout des morceaux funk, soul et R&B : autrement dit, de la musique noire. Vince Lawrence, adolescent et steward ce soir-là, en ressort marqué à vie – tabassé en rentrant chez lui. Ce choc raciste devient l’acte fondateur d’une revanche musicale. Grâce à une compensation financière, il achète son premier synthétiseur. De ce traumatisme naîtra On & On, souvent considéré comme le premier disque de house. La flamme qu’on croyait éteindre s’est embrasée ailleurs.

Pourquoi le Disco Demolition Night de 1979 est-il central dans le récit ?

Lawrence ne fait pas que composer : il crée une scène. Avec Jesse Saunders, il fonde un réseau, distribue ses disques en mains propres aux DJs de Chicago, Detroit, New York. Un jour, il appelle une chaîne de télé en se faisant passer pour une grand-mère exaspérée par le manque de jeunes noirs positifs à l’écran – et réussit à faire parler de son groupe, Z Factor. Cette énergie folle, faite d’audace et de débrouille, traverse tout le film. Elegance Bratton, qui signe la réalisation, y voit un miroir de son propre parcours : adolescent gay mis à la rue, il trouve lui aussi refuge dans les clubs house, à New York. Le dancefloor devient alors un lieu de vie, d’expression, de survie.

“La house, c’est la preuve qu’on peut créer des lieux où tout le monde est le bienvenu – peu importe sa race, son genre ou son orientation. Et si tu tiens bon, même quand le monde devient fou, tu peux le changer.” – Elegance Bratton

Danser contre la haine, mixer pour exister

Photo Elegance Bratton
Elegance Bratton © Winter Coleman

Avec son style qui mêle archives vibrantes, témoignages intimes et reconstitutions saisissantes, Move Ya Body est une ode à la joie politique. Car derrière les beats, il y a une urgence : celle de créer des espaces où toutes les identités peuvent exister. Dans le Chicago ségrégué des années 80, les clubs queer du South Side sont des îlots de liberté au cœur d’une ville gangrenée par le racisme, les violences policières et la précarité. Bratton ne cache pas son intention : faire un manifeste. “Une fête politique”, dit-il. Et son message résonne fort : “La House music nous apprend que chacun a sa place à la table.”

Mais ce film ne tombe pas dans le piège d’une célébration naïve. Il dénonce aussi. Trax Records, l’un des labels les plus emblématiques du genre, a profité du travail de Vince Lawrence… sans jamais vraiment le reconnaître ni le rétribuer à sa juste valeur. Une dynamique tristement familière : celle d’un genre créé par des Noirs, repris (et monétisé) par d’autres. Aujourd’hui encore, combien de DJs noirs remplissent des stades ? Très peu. Alors que la house règne sur les festivals et les charts, ses créateurs originels, eux, restent souvent invisibles. À ce titre, Move Ya Body n’est pas seulement un hommage : c’est un rappel nécessaire.

Ce que l’on en pense ?

Ce documentaire fait parti des œuvres qui ouvrent la voie à une nouvelle génération de films et d’archives qui racontent l’histoire des musiques électroniques depuis leurs marges : noires, queer, précaires, inventives. Il interroge aussi la responsabilité actuelle de la scène clubbing : qui programme ? Qui raconte ? Qui récolte ? En cette ère où la fête est plus que jamais un enjeu politique, Move Ya Body nous rappelle que danser, c’est aussi résister.

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