Matthew Herbert, maître des textures politiques, et Momoko Gill, étoile montante de la scène expérimentale de Londres, unissent leurs forces sur Clay, un disque aussi tactile qu’introspectif. Sorti chez Strut records, l’album épouse les matières, traverse les heures et offre une vision aussi libre qu’organique de la musique électronique contemporaine
Avec Clay, Matthew Herbert et Momoko Gill accouchent d’un disque magnétique, empreint d’humanité, de souffle et d’une poésie du geste. Une collaboration rare, entre précision rythmique et mélancolie douce, qui explore les textures du quotidien pour en tirer des pulsations dansantes, des ballades fragiles et des dialogues à fleur de peau. Une œuvre qui touche autant le corps que l’âme, et ouvre des perspectives pour une électronique plus sensible, ancrée dans le réel…
Autour de la maison, ailleurs déjà

Dès les premières minutes de Clay, l’ombre bienveillante de Around The House plane. Mais il ne s’agit pas ici de nostalgie : plutôt d’un écho, réinventé par la voix claire de Momoko Gill. Cette voix, jamais démonstrative mais profondément expressive, glisse sur les beats comme une confidence en fin de nuit. Herbert, en alchimiste du son, construit autour d’elle un monde à mi-hauteur : ni club, ni chambre, mais un entre-deux subtil où le minimalisme devient sensoriel. Chaque morceau semble sculpté dans une matière vivante, poreuse – comme cette argile annoncée dans le titre.
La main dans le sample, l’oreille dans la rue, Herbert n’a rien perdu de sa curiosité sonore : ici, ce ne sont ni des cochons, ni des bombes, mais des rebonds de balles, des frottements de koto, des craquements de peau ou des respirations de ville qui peuplent les rythmiques. C’est un monde en miniature qui palpite sous les kicks souples de Mowing ou dans les cliquetis aériens de Yuu. Loin d’un fétichisme de l’objet ou du field recording, les sons ici racontent autre chose : une écoute du quotidien, une attention au détail qui rend l’ensemble étrangement proche, quasi familier. Clay, c’est l’électronique vue de près, presque au microscope affectif.
“The more music tries to be perfect, the less human it becomes.” — Matthew Herbert, interview pour The Quietus, 2011.
Danse lente, cœur battant

Ce qui frappe dans Clay, c’est sa retenue. L’album ne cherche ni l’héroïsme du dancefloor, ni l’abstraction pure. Il préfère la suggestion. Les montées sont lentes, les crescendos retenus, et pourtant quelque chose s’ouvre, se déploie, à chaque titre. Sur Heart, le duo atteint un sommet d’émotion contenue : un duo suspendu entre battement et effacement, entre présence et absence. Le disque semble composé de silences habités, de gestes à demi dits, d’élans contrariés – et c’est là que réside sa force. Un équilibre rare entre intention et abandon.
Clay n’est pas un manifeste – du moins pas au sens politique que l’on connaît de Herbert. Mais il propose une autre radicalité : celle de l’écoute, du lien, du duo. Dans un monde qui crie, ce disque chuchote. Dans une époque qui surproduit, il respire. Dans un circuit musical dominé par le produit, Clay rappelle la beauté des œuvres fragiles, modelées à deux mains, loin des standards, mais proches de nous. C’est un album qui durera. Parce qu’il n’impose rien, mais propose tout. Clay ne cherche pas à faire du bruit, mais à s’inscrire – délicatement – dans nos corps et nos habitudes. Un disque de présence, d’écoute et de gestes, qui laissera sans doute son empreinte dans le paysage sonore de l’année.
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