Avec Ston Elaióna, le compositeur américain John Also Bennett, désormais installé à Athènes, signe un album à la fois contemplatif et tellurique. Entre souffle et silence, flûte basse et synthés accordés à l’antique, ce voyage électroacoustique dessine une Grèce intérieure et sonore, suspendue entre l’aube et l’éternité
Dans une économie de moyens assumée – flûte basse, DX7ii en just intonation, quelques oscillateurs et captations d’ambiance –, John Also Bennett façonne une méditation délicate et puissante sur l’instant. Ston Elaióna (Shelter Press, 25 juillet 2025) est une ode à Athènes, à ses collines, ses divinités dormantes, ses chats et ses tempêtes. L’album ouvre des perspectives sensibles entre musique ambient, héritage antique et poétique du quotidien…
Les collines ont des oreilles
John Also Bennett DR
Composé dans la lumière dorée des matins grecs, Ston Elaióna — “dans l’oliveraie” — est un disque d’aube. Non pas un album de réveil, mais de bascule : ce moment où le monde se remet lentement à vibrer, entre songes résiduels et éveil fragile. C’est dans cette zone grise que Bennett pose ses flûtes, ses synthés et une écoute quasi organique du monde alentour. Ici, le silence est vivant. La ville respire. Et la musique semble en être l’empreinte directe, tel un sismographe affectif.
Parthénon, DX7 et pluie d’avril ? Le choix du synthétiseur (DX7ii) accordé selon des gammes en just intonation pourrait paraître ésotérique. Il est ici tout sauf démonstratif. C’est un outil de résonance, de vibration. À travers lui, et son jeu de souffle souple sur la flûte basse, Bennett compose des pièces comme Gecko Pads ou Hailstorm à la lisière du son et du climat. L’orage y est un motif intime. La présence animale (un lézard sur un mur) devient schéma de composition. Rien n’est anecdotique, tout est déposé avec soin.
“Tout ce que je joue, c’est ce que j’entends depuis la fenêtre. Parfois un oiseau, parfois la sirène d’un ferry. Athènes est ma partition.” — John Also Bennett
Certains titres, comme Sacred House ou Oracle, puisent dans les récits enfouis du Dodone antique. Mais il ne s’agit pas de folklore. Il s’agit d’écoute. Comme si, en l’absence de prêtres et de divinités officielles, la musique reprenait le rôle de l’intercesseur : faire parler le vent, les feuilles, les pierres. Dans Seikilos Epitaph, version électronique du plus ancien chant connu, Bennett joue la transparence, le passage : le temps s’efface, la vibration reste.
Une poignée d’olives, et le monde continue… Avec A Handful of Olives, Bennett évoque un personnage de Kazantzakis qui traverse le pays avec pour tout viatique du pain, du vin, un fromage et quelques olives. Ce minimalisme, ici sonore, dit beaucoup : on peut faire vibrer l’univers entier avec peu. Mais ce peu, il faut l’avoir patiemment ciselé. Tout Ston Elaióna porte cette humilité, cette lenteur, cette fidélité aux éléments essentiels. Un disque rare, par sa pudeur autant que sa profondeur. Avec Ston Elaióna, John Also Bennett nous rappelle qu’il est évidemment possible de ralentir. De respirer. D’écouter, pleinement. La musique révèle l’invisible dans ce qui est là, sous nos yeux.