Avec Don’t Trust Mirrors, son nouvel album paru chez Warp Records, Kelly Moran franchit une frontière intime. Pianiste, compositrice et exploratrice sonore, elle met en tension le piano préparé, les synthétiseurs et son propre corps ; confrontation du vertige de l’image de soi dans une architecture fragile de reflets et de distorsions
Dix morceaux comme autant de fragments : Kelly Moran revisite ses territoires, du piano préparé aux textures électroniques, et s’ouvre à de nouveaux élans physiques, jusque dans la danse. Le single Echo in the Field agit comme révélateur, affirmant une pulsation inédite dans son répertoire. Le miroir, motif central, se fissure pour révéler une narration intérieure, entre perte de repères et réconciliation…
Dépasser la peur : la danse comme métaphore

Quand Moran dévoile Echo in the Field, premier extrait de son album, elle accompagne le morceau d’une vidéo où elle danse. Elle confie que si peu de choses lui ont peur dans ce monde, l’idée de danser dans un clip vidéo la terrifie. Elle a donc voulu affronter cette peur de front, le premier morceau qu’elle a écrit lui donne alors envie de se lever pour danser et, plus généralement, se lâcher complètement. Cette confession, publiée via Warp, éclaire l’album : une traversée où l’artiste ne se cache plus derrière son clavier, mais assume l’exposition du corps, du mouvement, du risque.
Don’t Trust Mirrors rassemble dix pièces, parmi lesquelles Prism Drift, Sans Sodalis, Lunar Wave ou encore Cathedral, point culminant du disque. Moran y mêle lignes de piano préparé et nappes synthétiques, jeux d’arpeggios et plages contemplatives. Le morceau-titre, réinventé avec Bibio, agit comme pivot, il condense la notion de miroir déformant, de l’ancien vers le nouveau.
« Don’t Trust Mirrors is an exercise in self-actualization… » — Warp Records
Continuité et rupture

Après Moves in the Field (2024), où elle dialoguait avec un Yamaha Disklavier automatisé, Moran revient à une approche plus charnelle. La critique souligne qu’elle « complète un cercle » : elle réunit ses multiples facettes, du geste mécanique aux pulsations électroniques, mais choisit cette fois de les incarner. Le miroir qu’elle « ne peut pas croire » devient moteur d’auto-actualisation, selon les mots mêmes de Warp Records.
Une lumière recomposée : l’album se déploie comme un cycle : perturbation (Echo in the Field), confrontation (Don’t Trust Mirrors, Chrysalis), puis réconciliation (Above the Vapours, Cathedral). Chaque étape rejoue la métaphore du reflet : distordu, brisé, mais porteur d’une lumière nouvelle. Kelly Moran signe un disque qui ne craint ni la fragilité, ni l’excès, mais qui dévoile un passage : accepter ses propres fissures pour les transformer en musique.