Livre jérôme bertin vie-et-mort

Vie et mort d’un cycliste amateur, de Jérôme Bertin (Au Diable Vauvert)

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Dans Vie et mort d’un cycliste amateur (Au Diable Vauvert), Jérôme Bertin pédale entre souvenirs d’enfance et résistance intérieure. Loin des mythes sportifs, il fait du vélo un geste vital, un moyen de tenir debout face au temps qui use. Une poésie vibrante, à hauteur d’homme, sur les routes de province

Jérôme Bertin remonte la pente de son enfance rurale, et de l’héritage familial du vélo. À travers la figure du personnage de Denis Bolet, il raconte la vie des campagnes, les dimanches de courses, les rêves de gloire, les chutes et les minuscules victoires. Le vélo devient mémoire du corps, sport du peuple et métaphore du temps qui passe. Porté par une langue verticale, rythmée, faussement orale, le texte avance comme un souffle. Autodérision, tendresse et lucidité, Jérôme Bertin évoque la province sans fard, l’enfance comme âge d’or, et la poésie comme un moyen de tenir debout dans un monde qui s’effrite. Un livre court, intense, où le cyclisme révèle ce qui nous anime, ce qui nous échappe et ce qui demeure ; la mémoire, justement…

Livre jérôme bertin vie-et-mort
Vie et mort d’un cycliste amateur DR

Poésie du coup de pédale

Une route de fin d’après-midi. Un homme qui pédale encore, comme on s’accroche à quelque chose de simple pour respirer. Dans son nouveau livre, Jérôme Bertin ne place pas son cycliste amateur sur un podium. Il le pose dans les creux du monde, routes départementales, lotissements, cafés de bord de nationale. La France de l’entre-deux, ni rurale ni urbaine, celle où l’on grandit davantage par nécessité que par destin. Chez Jérôme Bertin, le vélo n’est pas un décor. C’est une mémoire du corps. Il en a vraiment fait, jeune, et ce rapport physique au monde traverse son écriture, sèche, rythmée, presque haletante, comme un souffle qui cherche son point d’équilibre. Le vélo n’est jamais une performance, plutôt une façon de rester debout, de tenir bon quand tout vacille, et d’avancer pour ne pas tomber…

Vie et mort d’un cycliste amateur c’est une poésie du réel, sans vernis. C’est un texte qui dévoile la vie ordinaire dans ce qu’elle a de plus ténu, les maisons en parpaing, les après-midis de pluie, l’ennui des dimanches, les corps fatigués. C’est une langue directe, dépouillée, qui dit les choses comme elles sont, sans majuscules inutiles. Au fond, c’est un livre qui parle d’endurance. De ce qui passe, et de ce qui reste. De cette mélancolie droite qui pousse à continuer, même sans gloire, même sans certitude. Pédaler pour ne pas chuter, écrire pour ne pas se taire, une manière d’habiter le temps avec ses émotions et, peut-être, d’en apprivoiser la pente.

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“Écrire, c’est pédaler autrement”

Dans Vie et mort d’un cycliste amateur, Jérôme Bertin replonge dans les routes du Limousin, les gestes du sport populaire et les résonances intimes d’une enfance rurale. Le vélo devient mémoire, rythme, héritage, une manière de tenir debout face au temps. Rencontre avec un écrivain qui revendique la verticalité d’une langue en mouvement…

Cyprien.Rose. Tu as fait du vélo dans ta jeunesse, mais ce n’est peut-être pas que de là qu’est parti ce livre, si ? Il y a le souvenir d’une discipline, d’une solitude, ou d’un certain rapport au monde que tu voulais embrasser ?

Photo Jérôme Bertin
Jérôme Bertin © Franck (Cipm)

Jérôme.Bertin. Le vélo, chez moi, c’est d’abord une histoire de famille. Un grand-père coureur, des oncles en selle, et mon père, Gilbert, cycliste amateur respecté dans tout le Limousin. Il archiverait sa vie en coupures de presse s’il pouvait : des catalogues entiers où s’empilent ses souvenirs de courses. Les fins de mois étaient difficiles, il travaillait beaucoup, mais tous les dimanches, il courait. Sur route, dans les prés, en cyclo-cross. Champion du Limousin vétéran dans les années 80. J’ai grandi dans cette odeur de chambre à air et de spray chauffant. Moi aussi, j’ai roulé, beaucoup, même si ma “carrière” fut brève et calamiteuse.

Écrire sur mon père, c’était une envie ancienne. Le vélo, c’est aussi le sport du peuple des campagnes. Le Tour de France, chez nous, c’était Noël : le bruit des roues, les bidons dans les fossés, les casquettes de Fignon qu’on attrapait au vol. Le prisme s’est imposé pour raconter une enfance rurale, drôle, burlesque, qui me poursuit encore. Comme dit Renaud : “Après l’enfance, c’est quasiment fini.” L’éternité dure douze ans. Le reste n’est qu’un très long temps additionnel.

Souffle et chute

C.R. Chez toi, pédaler n’a rien d’héroïque. C’est presque une prière profane. Comment t’es venu ce lien entre mouvement, respiration et écriture ? Est-ce que tu écris comme on descend une côte, sans savoir si ça passera, mais en essayant quand même ?

J.B. Le cyclisme est le sport héroïque par excellence. Solitaire, exigeant, tragique. De Christophe à Rivière, de Hinault ensanglanté à Simpson ou Casartelli, ce sont des destins durs, des vies en équilibre sur une route qui ne pardonne rien. Le vélo et l’écriture ont quelque chose en commun : le souffle, l’abnégation. Mais il est plus simple de reprendre un paragraphe qu’une trajectoire ratée dans une descente de col à 100 km/h. Denis, dans le livre, veut sa part de gloire. Il veut montrer qu’il vaut quelque chose. Il échoue, bien sûr — mais il aura essayé. Ce geste-là me touche profondément.

Le territoire comme cicatrice, la province sans folklore

C.R. Tu parles d’une France des routes, des garages, des visages familiers. Comment trouves-tu la bonne distance pour écrire sur la province sans tomber dans la nostalgie ni le cliché ? Qu’est-ce qui t’attache à ces paysages-là ?

J.B. Je n’ai pas peur des clichés. J’aime forcer le trait, exagérer, caricaturer. La province, c’est mon nid. Après mes “autres tours de France”, la drogue, la baise, la politique un peu bébête, je suis revenu à la terre de mes aïeux. Je déteste les bobos, j’exècre les bourgeois, leur condescendance envers les “pecnos ». Je suis marqué au fer rouge, et j’aime regarder ma cicatrice. Vie et mort montre les travers des gens de chez moi. On s’aime malgré les défauts, comme on aime son miroir bancal. En riant d’eux, je ris de moi. Il y a de l’autodérision. De la tendresse. Je parle simplement de ce que je connais.

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Langue à hauteur d’homme

C.R. Ton écriture semble marcher à l’instinct, à la courte phrase, on en revient au souffle. C’est un style “parlé” : est-ce une manière d’être au plus près du réel, ou une grimace à la littérature trop écrite ?

J.B. Ma forme effilée, verticale, parle de chute. D’hommes à terre. Elle me libère : pas de ponctuation, peu de syntaxe, juste le rythme. Un envoûtement. Soit tu refermes le livre, soit tu chutes avec moi. Mes textes sont des rêves, bons ou mauvais. Ma langue est faussement orale : elle est polie, tournée, mâchée. Je réécris beaucoup. Trois, quatre versions. Et peut-être pour cela mes textes sont courts. Je travaille quatre heures d’affilée, intensément. J’en sors vidé.

Rapport au temps

C.R. Ce livre c’est aussi une sorte de mélancolie du temps qui passe, le mot est peut-être fort car ce n’est pas maladif, mais c’est en tous cas sans plainte. L’écriture t’a-t-elle permis de redonner forme à ce temps d’avant ? Est-ce apaisant d’y revenir ?

J.B. Mes madeleines sont à la moutarde, tu l’auras remarqué. Je suis un nostalgique. Pour moi, l’âge adulte est un ghetto à ciel ouvert. Seuls la poésie, la musique et les chats me permettent de tenir. Dans mes livres, je reviens toujours à l’âge tendre : celui des rêves, de la joie, de l’élan. Privée d’enfance, la vie devient pathétique. Un tas de fumier avec, en prime, la fiction de l’amour romantique en cerise. Une fois conscient de la vacuité des choses, de notre éphémère dérisoire… à quoi bon courir ? Vivre, c’est pédaler sur un vélo d’appartement dans la pénombre d’un studio cradingue. Il faut rire pour ne pas pleurer.

Poésie sans école

C.R. Ta manière d’écrire est poétique sans se réclamer de la “poésie” au sens classique. Comment vois-tu la poésie moderne ? un genre ? une attitude face au réel ? une façon de respirer le monde autrement ? une façon de dire vrai, avec la langue la plus juste possible ?

Livre Rage Tendre
Promo du livre Rage Tendre de Jérôme Bertin

J.B. Je lis très peu de poésie contemporaine. Souvent inconséquente, souvent vaine. Beaucoup de mots pour peu de choses. J’aime Pennequin, j’aime Courtoux. Mais je reviens toujours à Zola, Céline, Bukowski, Prévert, au rap, à Trenet, à Brassens. C’est là que ça vit. Qu’on me classe où l’on veut : poète, romancier, inclassable. Je suis un styliste. Je témoigne. Je rapporte. Je me sers de ma vie pour parler des autres.

C.R. Si tu devais résumer ce livre en un mot, ce serait quoi ?

J.B. Mémoire.

Le vélo comme héritage

Vie et mort d’un cycliste amateur c’est, en somme, l’histoire d’un souffle juvénile qui se cherche. Un poème qui avance par fragments, porté par Denis, ce gamin roux, vif, un peu à côté du monde, à Grouillon… Il raconte en laissant filer les images, les odeurs, les micro-gestes du quotidien. On le suit dans cette sorte d’errance éveillée où l’on sent les rêves qui débordent du cadre, l’introspection qui s’installe au milieu des chemins, et l’enfance qui tangue déjà vers autre chose… Un poème narratif qui respire en liberté, porté par la voix d’un ado dont les pensées glissent comme des étincelles sur le papier.

Jérôme Bertin ne raconte pas l’exploit, mais la tenue. La manière de rester debout, même sur un vélo trop léger pour contenir toutes les douleurs du monde. L’écriture devient souffle, cadence, équilibre. Et ce cycliste qui avance encore, c’est un peu chacun de nous… L’auteur m’a parfois fait penser à Olivier Broche, qui joue le fils dans le sketch La famille et la lecture, des Deschiens ; un rapport aux livres et au cyclisme certes différent, mais dont l’écho résonne dans d’innombrables tranches de vie ; comme les livres de Jérôme Bertin.

Du même auteur Au Diable Vauvert

Buy Me A Coffee

Fondateur de Houz-Motik, Cyprien Rose est journaliste. Il a été coordinateur de la rédaction de Postap Mag et du Food2.0Lab. Il a également collaboré avec Radio France, Le Courrier, Tsugi, LUI... Noctambule, il a œuvré au sein de l'équipe organisatrice des soirées La Mona, et se produit en tant que DJ.

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