Elijah Minnelli cultive un drôle de double-jeu : d’un côté, il est l’un des artisans singuliers du dub contemporain ; de l’autre, il perpétue l’absurde bureaucratie de Breadminster, sa municipalité fictive où les mollusques influencent la moralité publique. Avec Clams As A Main Meal, il offre un nouvel opus où la satire locale s’érafle au réel, où le dub brinqueballe une mémoire bricolée, et où les voix s’invitent comme des fantômes d’un folklore parallèle
Ce nouvel album confirme l’espace mouvant d’Elijah Minnelli, entre tradition fracturée, low-fi savant, cliquetis d’ateliers imaginaires et collaborations solides. En raccourcissant la distance entre fiction et musique, Clams As A Main Meal ouvre surtout une porte, celle d’un dub qui s’autorise l’humour, l’étrangeté, la tendresse, et qui continue d’approfondir un style assez reconnaissable pour devenir un repère, même dans les territoires décentrés où Minnelli aime perdre ses auditeur·rices…
Le dub de travers, comme un dérèglement administratif

Dans le Breadminster que Minnelli traîne derrière lui depuis plusieurs années, les choses ne s’arrangent jamais vraiment… L’artiste, présenté ici comme “fatigué mais inexplicablement fidèle à son poste de conseiller municipal”, continue à siphonner des fonds imaginaires pour alimenter ses expérimentations. Le ton reste pince-sans-rire, mais l’effet est clair. Cette bureaucratie d’opérette sert de chambre d’écho : un terrain meuble où poser ses basses hésitantes et ses percussions désaxées. Le clin d’œil se prolonge jusque sur la pochette, dominée par l’apparition lunaire du Dr. K’houldoux, figure centrale du fameux Breadminster Board of Abstinence. Minnelli ancre son album dans cet univers comme si la musique était l’archive sonore d’une institution aussi inutile qu’indestructible.
Une mécanique dub traversée de voix : au-delà de la fiction, le disque est d’abord une affaire d’alliances. La présence de Dennis Bovell, pilier historique du dub britannique, donne immédiatement une ampleur particulière, une sorte de point d’ancrage, un fil tendu avec la tradition, dont Minnelli se sert pour renverser légèrement l’axe. À côté, Carwyn Ellis apporte un contrepoint en gallois, révélant à quel point Minnelli aime déplacer la langue comme on décale une fréquence. Ces deux titres prolongent l’élan de Perpetual Musket (2024), où des ballades folk avaient été réimaginées avec des chanteurs reggae, un disque remarqué par The Guardian ou The Quietus, et qui avait confirmé que Minnelli savait transformer les approches traditionnelles sans les caricaturer. Ici, les voix ne servent pas d’ornement. Elles deviennent des repères dans le labyrinthe, des zones de respiration entre machines grinçantes, basses brinquebalantes et petites ruptures rythmiques.
“Dub carries a history of experimentation, but also of mischief, it’s a music that plays with space, authority and expectation.”
— Paul Gilroy (Small Acts – Serpent’s Tail, 1993)
Une matière sonore qui craque, respire et s’ouvre

Le reste du disque s’aventure plus loin : un dub plus tactile, presque mécanique, où l’on imagine des soufflets, des pompes, des leviers et des ressorts. Minnelli construit ses morceaux comme des outils artisanaux : ça couine, ça ploie, ça klang, ça s’entrechoque, mais l’ensemble est animé d’une douce intelligence du détail. Ce dub n’a rien de hi-fi. Minnelli signe peut-être là son disque le plus cohérent, un album qui assume la fragmentation tout en cherchant une juste continuité, un fil cousu à la main.
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Malgré le décor burlseque qui entoure son personnage, Minnelli fonctionne en artisan constant : une séries de 7″ faits maison (souvent épuisés) ; des millions d’écoutes accumulées en ligne ; une diffusion régulière en radio, autant d’indices qui tracent une trajectoire parallèle, discrète et persistante. À Breadminster, en revanche (fiction oblige), la rumeur gronde. Son “Music Initiative” serait un prétexte pour détourner des fonds publics. Le paradoxe est savoureux, plus son travail circule, plus l’administration imaginaire s’en méfie. Le folklore met en scène cette tension : l’art comme soupçon, la musique comme preuve à charge. Clams As A Main Meal ouvre un territoire peu fréquenté, un dub qui s’autorise l’ironie, la narration latérale et les petites secousses concrètes. Minnelli y glisse un humour tendre, une méthode d’horloger fatigué, et une vision assez personnelle pour que l’on attende déjà le prochain contournement administratif.


