La nuit efface les distances. Les lampadaires se confondent, les miles disparaissent, et il ne reste qu’un ruban d’asphalte, une fréquence AM vacillante, et cette solitude qui n’en est plus vraiment une… CT57 nous emmène où la route n’a plus de destination, seulement une durée
À travers une écriture minimale et nocturne, inspirée par des œuvres ambient et lo-fi profondément américaines, ce texte de CT57 explore la route comme espace mental. Un lieu où l’errance devient choix, et où la radio agit comme dernier lien fragile avec le monde éveillé. Une esthétique du déplacement sans promesse, mais pas sans sens…
Mille lampadaires pour un seul paysage
Screen CT57 DR
La route, ici, ne mène nulle part. Elle ne promet rien. Elle s’étire. Les lampadaires se fondent les uns dans les autres jusqu’à former une ligne continue, presque abstraite. Le décor se répète, mais ce n’est pas une boucle : c’est une dilution. Le voyage cesse d’être géographique pour devenir intérieur. Cette sensation d’engloutissement progressif rappelle la logique même de certaines musiques ambient américaines : pas de climax, pas de rupture, seulement un glissement lent vers un état modifié de l’attention. La radio comme dernier témoin : la ce n’est pas un divertissement, c’est une présence, un souffle. Une voix lointaine qui traverse des comtés invisibles, parfois parasitée, parfois claire, mais toujours fragile. Sur ces routes nocturnes, l’AM devient une sorte de compagnon involontaire, un rappel que le monde existe encore ailleurs. C’est précisément ce que capte 1450kHz at Broken Grove de TV2 : une écoute située, imparfaite, traversée d’interférences, où la musique semble provenir d’un autre temps, ou d’un autre état de veille.
“Driving is a kind of trance, you’re neither here nor there.” — David Lynch (entretien avec The Paris Review).
Choisir la solitude
CT57 DR
La solitude décrite ici n’est ni subie ni romantisée. Elle est assumée. Il n’y a pas d’alternative désirée, pas de regret formulé. La route devient une discipline silencieuse : apprendre à rester éveillé, à écouter, à accepter que rien n’arrive. Cette posture fait écho à Narvon Nights de GlenOAX, disque nocturne par excellence, où chaque morceau semble rouler à vitesse constante, sans urgence, sans destination affichée. Une musique pour ceux qui préfèrent la continuité au récit.
Avant que le jour ne réclame quelque chose : l’aube arrive toujours trop tôt. Elle ne conclut rien, elle interrompt. Le jour pose des questions, impose des rôles, remet les compteurs à zéro. La nuit, elle, permet encore de circuler sans justification. C’est dans cet interstice, juste avant la naissance du jour, que ce texte trouve sa place. Ni chanson, ni chronique, mais note de bord. Une trace laissée sur la bande FM mentale de ceux qui roulent tard, longtemps, et volontairement. Certaines routes n’ont pas besoin d’arrivée, elles existent seulement pour ce qu’elles permettent d’entendre quand tout le reste s’est tu : bon voyage !
Antoine Brettman est un bricoleur d'images et de sons... Son travail s'inscrit dans le courant de l’art vidéo par la réappropriation d'œuvres audiovisuelles, où il exploite la virtualité des images afin de confronter au monde réel son recyclage d'histoires.