Derrière l’objectif de son Leica Monochrom, Junichi Hakoyama dessine des mondes à mi-chemin entre l’évidence et le mystère. Dans cet échange rare, le photographe japonais revient sur la manière dont il compose ses images, entre simplicité absolue, pouvoir du silence et fragilité de l’instant. Un dialogue suspendu, entre lumière et ténèbres, où le regard devient un instrument de musique intérieure
Noir & blanc, sans retour possible

Enfant, Junichi Hakoyama aime dessiner et passe la plupart de son temps à créer des images, affirmant son goût pour la conception lorsqu’il est étudiant ; un chemin tout tracé vers la photographie. Son travail revêt la parure d’un académisme consacré à la géométrie et à l’architecture, alors que l’urbanisme est clairement mis en scène dans ses noirs et blancs. Fuir les couleurs, c’est fuir le superflu. Pour Hakoyama, la couleur bavarde là où l’ombre et la lumière chuchotent. Il choisit le noir et blanc non par nostalgie, mais par conviction : « une photo ne doit pas contenir trop d’informations ». Et son Leica Monochrom, instrument d’élégance pure, devient son unique prolongement.
Cyprien.Rose. Pouvez-vous nous parler de vos inspirations ?
Junichi. Hakoyama. J’ai commencé mon travail de création photographique il y a dix ans, lorsque j’ai acheté un Leica M3. Je prenais différents types de photos, et j’ai commencé à avoir une vision très claire de ce qui me plaisait, depuis je crée uniquement des photographies selon ma propre thématique. Mon unique envie consiste à remuer, et élargir, l’imagination du public. Pour cela j’utilise trois styles particulièrement expressifs. L’un est “la simplicité” : je souhaite faire simple car cela laisse moins de place à l’imagination, une photo ne doit pas contenir trop d’informations. Le second est “lumière et ombre” : la lumière révèle les informations nécessaires à la compréhension et ajoute une touche de dynamisme. L’ombre élimine l’excès d’informations et sollicite l’imagination. Le troisième est que chacun puisse laisser son imagination voler librement… Mon inspiration vient de l’espace créé par la lumière et l’ombre, cet espace existe pour seulement un moment, un court instant, voilà pourquoi je le trouve attrayant.
L’instant comme une fiction silencieuse

Pas de modèles, pas de mises en scène. Hakoyama attend que la lumière fasse surgir une silhouette, et que l’ombre l’amenuise. Dans ce théâtre minimal, l’humain devient énigme. Il ne raconte pas ce qu’il voit, mais ce que le spectateur pourrait imaginer. “Où va ce personnage ? Que pense-t-il ?” — ces questions deviennent autant de déclencheurs narratifs.
C.R. Le noir et blanc est-il l’unique moyen, ou le plus direct, pour exprimer ce que vous voulez montrer ? Travaillez-vous toujours avec un Leica.
J.H. Je ne peux pas penser à autre chose que du noir et blanc. Selon moi, les photographies en couleurs transmettent bien trop d’informations, elles ne laissent aucune place à l’imagination. Quant à la caméra, j’utilise seulement le Leica M Monochrome, qui est fait pour prendre des photos en noir et blanc. Et puis, en raison de son histoire, de la tradition établie de longue date et transmise de génération en génération, cet appareil me procure une satisfaction profonde.
C.R. Dans dans le cadre vos photos, il y a toujours une personne seule, est-ce toujours le même modèle ?
J.H. Je n’utilise aucun modèle. J’attends seulement le bon moment, celui où les gens passent, créant ainsi ce jeu subtil entre la lumière et l’ombre.
« Mon unique envie consiste à remuer, et élargir, l’imagination du public. » — Junichi Hakoyama
Fragilité et puissance : une esthétique du presque rien

Chaque photo touche à quelque chose d’insaisissable, entre beauté brute et solitude immense. Le personnage n’est jamais central : il révèle, par contraste, la puissance des structures humaines et leur absurdité latente. Une forme de résistance douce, comme un corps qui traverse l’architecture sans s’y attacher.
C.R. Les personnages présents sur vos images nous aident à mieux saisir l’immensité du décor. Cependant, ils semblent lointains, insaisissables, un peu comme s’ils souhaitaient se protéger de ce que l’homme construit… Vous travaillez avec la lumière et l’ombre, mais le pouvoir et la fragilité semblent également être des éléments importants dans votre travail.
J.H. La manière dont je prends les photos est basée sur le fait de comment je veux que le public voie le personnage puis développe son imagination. Par exemple ce que pense le personnage, où il va, dans quel type de situation il se trouve… Le terme “fragilité” pourrait effectivement être le mot juste, dans une certaine mesure.
Le regard de Bresson, le silence du jazz

Henri Cartier-Bresson hante les compositions de Hakoyama, comme un maître invisible. Même Leica, même quête d’un instant suspendu. Côté musique, le jazz, sans qu’il le nomme, semble irriguer sa pratique : improvisation, silences expressifs, textures mouvantes. Des images comme des notes suspendues dans le vide.
C.R. Quelles sont vos sensibilités picturales, et musicales ?
J.H. Je suis fan d’Henri Cartier-Bresson. Les compositions de ses photographies sont magnifiques, elles ébranlent mon imagination. Lui et moi avons un petit point commun, il a également utilisé un Leica, à une époque antérieure. Je serais très curieux de savoir comment Henri se sentait lorsqu’il prenait ses photos… Pour ce qui est de la musique, je n’ai pas de références particulières, mais j’écoute souvent du jazz.
C.R. Vous aimez jouer avec l’imagination de ceux qui regardent vos photos, jouons un peu avec la vôtre… Imaginez le cas ou nous vous proposons d’envoyer une photo dans l’espace, un peu de la même manière que si l’on envoyait un message dans une bouteille à la mer… Que souhaitez-vous envoyer dans l’espace ?
J.H. Je pense à votre question, mais je ne peux pas y répondre immédiatement. Peut-être parce que je n’ai pas encore été en mesure de prendre une photo qui me satisfait totalement ?
Ce que l’ombre raconte aux étoiles…
Et si l’on n’envoyait pas de message dans l’espace, mais une photo en noir et blanc ? Chez Junichi Hakoyama, ce serait une ombre mouvante, un fragment d’éternité traversé par un inconnu, figé dans un éclat de lumière aussi fragile qu’une respiration. Ni manifeste ni récit, mais une image sans réponse, ouverte à toutes les interprétations. Une trace silencieuse dans le vide cosmique, comme une invitation à ralentir, à ressentir, à deviner ce qui se tient derrière les contours. Parce qu’au fond, ce que ses photographies racontent, c’est que le plus important ne se voit pas ; il s’imagine.