Avec Hand To Mouth, paru sur The Leaf Label, la chanteuse Keeley Forsyth et le pianiste Matthew Bourne livrent une œuvre déchirante et radicale, suspendue entre théâtre vocal, musique contemporaine et poésie du silence
Réputé pour être un pianiste et un compositeur imprévisible et intrépide, Matthew Bourne est un explorateur passionné du son, animé d’un désir ardent de faire de la musique avec tout ce qui est vieux, cassé ou infirme. Keeley Forsyth est compositrice, chanteuse et actrice originaire d’Oldham, dans le nord-ouest de l’Angleterre. Ensemble, ils offrent une traversée brute de l’intime, où chaque souffle devient un geste artistique ; découvrez Hand To Mouth…
Hand to Mouth

Paru le 4 avril 2025 sur 130701 Records et Fatcat, Hand To Mouth n’est pas un album comme les autres. C’est un espace de tension, de dépouillement et de concentration extrême. Keeley Forsyth y poursuit sa démarche singulière, entamée avec Debris (2020), en compagnie de Matthew Bourne, dont le piano devient ici autant une surface d’écho qu’un partenaire dramaturgique. Ensemble, ils creusent le langage jusqu’à l’os, transforment le silence en présence, et mettent en musique l’indicible… À chaque respiration, c’est l’intime qui s’expose.
Au-delà de sa densité émotionnelle, l’album interroge notre rapport à la forme musicale : que reste-t-il lorsqu’on retire la mélodie, la structure classique, l’ornement ? Forsyth et Bourne répondent par une forme d’anti-pop hypnotique, exigeante, qui pourrait trouver écho chez les amateurs de musique expérimentale, de performance vocale contemporaine, ou encore de théâtre sonore. Hand To Mouth pourrait marquer une nouvelle étape dans la carrière de Forsyth, qui s’affirme comme une figure singulière de la scène britannique, entre arts vivants et composition alternative.
L’anti-chanson comme manifeste

Ce disque, bien qu’austère en apparence, ouvre de nombreuses perspectives : collaborations pluridisciplinaires, intégration dans des projets scéniques, ou encore développement d’un langage musical radicalement personnel. Il nous rappelle surtout que la musique n’a pas toujours besoin de séduire pour bouleverser. Nu, dépouillé, l’album est cependant jamais vide. Forsyth et Bourne jouent avec l’espace, la résonance et la tension. Le piano, souvent dissonant, parfois réduit à quelques notes répétées ou suspendues, sert d’écrin à la voix grave et habitée de Forsyth. Celle-ci semble parler autant qu’elle chante, entre incantation et murmure, comme si chaque phrase sortait difficilement, mais nécessairement.
On pense à Scott Walker, aux expérimentations de Diamanda Galás ou aux compositions minimalistes d’Arvo Pärt, mais Hand To Mouth refuse toute étiquette. Il y a dans cette œuvre une forme de théâtre sonore, presque brut, qui s’adresse autant au corps qu’à l’âme. Ce n’est pas un disque qu’on écoute distraitement : c’est un disque qui vous attrape à la gorge, qui exige attention et abandon. L’alchimie entre Forsyth et Bourne est totale. Le duo transforme la fragilité en force, le silence en cri. Sur des titres comme Turning ou You Need Me Now, on frôle l’abîme, mais on y trouve aussi une forme de beauté austère, de consolation. Court, mais dense, ce disque s’écoute comme on lirait une pièce de théâtre radicale ou un poème murmuré à l’oreille ; une merveille !
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