La musicienne texane signe une BO hantée pour un chef-d’œuvre oublié de l’animation slovaque, et s’affirme comme une des voix majeures de l’électroacoustique contemporaine
En revisitant The Bloody Lady, claire rousay tisse une passerelle entre le passé d’un cinéma oublié et le présent d’une musique en perpétuelle mutation. Ce projet marque un tournant dans son œuvre : celui d’un dialogue entre image et son, entre folklore et abstraction. À l’heure où les hybridations artistiques se multiplient, Rousay impose une vision singulière : intimiste, précise, hantée. Une piste s’ouvre désormais vers la musique de film, que l’artiste pourrait bien redessiner à son image ; découvrez son remarquable album, The Bloody Lady…
The Bloody Lady : entre folklore, field recordings et tension latente

Avec The Bloody Lady, paru le 8 novembre 2024, claire rousay explore une forme d’intimité fantastique. Ce nouvel album est la réinvention sonore du film d’animation slovaque éponyme réalisé par Viktor Kubal en 1980, une perle rare de l’animation de l’Est, adaptée du mythe d’Elisabeth Bathory — la comtesse sanglante. Dès les premières notes, la compositrice américaine installe une atmosphère brumeuse, mêlant piano, nappes granuleuses, violon ralenti et enregistrements naturels. Le résultat ? Un théâtre mental oscillant entre enchantement et angoisse.
Rousay a composé cette bande-son dans son home studio de Los Angeles, peu après son installation en 2023. Mais le lien avec Bathory s’était noué bien avant, lors d’un voyage en Hongrie où elle visita — sans préméditation — le château de la comtesse. Elle y enregistra des sons de forêts, d’ambiance de bar, de pierres et de vent. Tous ces éléments forment aujourd’hui la texture spectrale de l’album, jouée pour la première fois en live lors du festival Film Fest Gent ; un pur hasard devenu geste artistique total.
Éthique floue et pulsations de cœur : un conte cruel réinterprété
Si le film de Kubal commence comme une fable Disney, il glisse vite dans une noirceur étrange. Rousay épouse ce virage en composant autour du battement du cœur, motif central du récit, jusqu’à en faire la colonne vertébrale sonore. Elle privilégie la suggestion, le creux, l’espace : chaque silence devient respiration, chaque fragment de son un écho moral. “Les personnages sont ambigus, et la perception du bien et du mal devient floue selon l’angle d’écoute”, confie-t-elle.
Connue pour déconstruire les formes ambient et expérimentales, claire rousay livre ici un album concept fort, autonome malgré son lien au film. The Bloody Lady est autant un hommage qu’une œuvre nouvelle, un témoignage d’amour au cinéma invisible et une exploration sensible du mythe de la cruauté féminine. L’album s’inscrit dans la lignée des travaux ambient-cinéphiles contemporains, à l’instar de Mica Levi ou Hildur Guðnadóttir ; toute la rédac’ s’accorde à dire que c’est un disque collector.