À 75 ans passés, Paquito D’Rivera explore encore. Entouré de musiciens exilés à Madrid, il signe La Fleur de Cayenne. Cet album est riche en couleurs et en rythmes : entre son cubain, joropo vénézuélien, chacarera argentine et ballade cinématographique. Une œuvre vibrante, chaleureuse et sans étiquette, où l’exil devient source de création collective
Avec La Fleur de Cayenne, Paquito D’Rivera entame une nouvelle floraison musicale aux parfums métissés. Ce disque marque à la fois la consolidation d’un collectif formé dans l’exil et une vision de la musique comme espace sans frontière. Une réussite qui pourrait bien augurer d’une série de projets transatlantiques à venir, et rappeler que le jazz, aujourd’hui plus que jamais, est une affaire de circulation et de mémoire ; découvrez La Fleur de Cayenne…
Géographie sentimentale du rythme

À plus de soixante-dix ans de carrière, Paquito D’Rivera continue de faire fleurir son univers musical avec une fraîcheur étonnante. La Fleur de Cayenne, sa nouvelle offrande, réunit un collectif de musiciens exilés cubains et un vibraphoniste colombien établis à Madrid. Ensembles, ils forment le Madrid-New York Connection Band. Le disque, enregistré en décembre 2024, est bien plus qu’un projet transatlantique : c’est une célébration vibrante des filiations musicales entre les Amériques et l’Europe. Dès les premières mesures du titre éponyme, un joropo vénézuélien acrobatique, le ton est donné : celui d’un dialogue sophistiqué entre la clarinette de D’Rivera et le vibraphone lumineux de Sebastián Laverde. Complexe et énergique, ce titre affiche l’aisance technique du clarinettiste tout en laissant l’espace nécessaire à ses partenaires pour briller.
« La musique, c’est comme un passeport diplomatique. Elle traverse les frontières sans qu’on lui demande son identité. »
(Paquito D’Rivera, interview pour NPR, 2012)
La fleur de Cayenne

La complicité entre D’Rivera et le pianiste Pepe Rivero, scellée depuis les années 1990, irrigue tout l’album. Elle éclate sur Paq-Man in La Pampa, inspiré de la chacarera argentine, où le swing du groupe prend des allures dansantes et folkloriques. Cette rencontre de traditions se prolonge sur Vals Venezolano, pièce virevoltante et piégeuse, idéale pour les envolées solistes. Les hommages pleuvent aussi, notamment avec les relectures élégantes de deux compositions d’Ernesto Lecuona, ou encore l’envoûtante reprise de Cinema Paradiso, qui referme l’album avec le souffle mélancolique de l’harmonica d’Antonio Serrano, invité de luxe.
Mais La Fleur de Cayenne est bien plus qu’un simple recueil de virtuosités. C’est un projet de transmission et de circulation, dans lequel l’exil se transforme en terrain d’échanges fertiles. Car chaque morceau illustre la capacité de D’Rivera à absorber des idiomes musicaux variés — son cubain, tango, milonga, folklore argentin — et à les fondre dans une esthétique commune, à la fois érudite et chaleureuse. En somme, La Fleur de Cayenne est un bijou de finesse et de générosité. Un disque nomade et profondément ancré, qui confirme que Paquito D’Rivera n’a rien perdu de sa curiosité ni de son pouvoir d’envoûtement. Une œuvre majeure pour les amateurs de jazz latin et de musique sans frontières.