Natalie Slade ne précipite rien : cinq ans après Control, la chanteuse australienne revient avec Molasses, un disque de soul lente, tissée d’éclats électroniques et de tensions jazz. Dix titres comme des voiles déployés, où chaque mot fond lentement, et où chaque accord semble attendre la nuit pour exister. Un album viscéral, dense et tendre, ancré dans l’intime
Avec Molasses, Natalie Slade poursuit son élégante mue. Entourée de figures reconnues de la scène soul-futuriste australienne (Sampology, Laneous, Dan Kye), elle trace un sillon singulier et affranchi des attentes. Ni R&B standardisé, ni jazz élitiste : un entre‑deux gracieux, enraciné, terrien. Le genre de disque qui s’écoute sans l’interrompre. Et qui pourrait bien, par ses silences et ses souffles, réveiller des formes oubliées de sensualité musicale ; à suivre en vinyle ou au casque, les yeux fermés…
Une lente maturité

Natalie Slade ne sort pas d’album comme on aligne des projets. Depuis Control, son premier long format paru en 2020 chez Eglo Records (le label de Floating Points et de Fatima), elle a pris le temps. Entre collaborations (notamment avec Simon Mavin de Hiatus Kaiyote) et créations personnelles, elle a laissé mûrir sa voix comme on laisse reposer une pâte à pain : patiente, vivante, irrésistiblement ancrée. Molasses prolonge donc cette démarche. On y retrouve cette même alchimie entre broken beat, soul libre et songwriting charnel — mais tout a gagné en amplitude.
Les corps parlent aussi… Dès Unquenchable Craving, single précurseur sorti en mars, on comprend l’intention : laisser la pulsation intérieure mener la danse. Il n’y a pas de hit, pas de crescendo facile. Slade, avec Sampology à la co-production, épouse les méandres du désir, les doutes, les tensions. Sa voix n’est pas démonstrative, elle est révélatrice. Tout le disque oscille ainsi : basses rondes, percussions souples, nappes de claviers en halo. On pense à Georgia Anne Muldrow, parfois à Erykah Badu — mais sans jamais s’y réduire.
“This album is an exploration of the sacred feminine and the deep emotions that exist within us all.” — Natalie Slade (interview pour Music Feeds AU).
Scène australienne, vision mondiale

Si l’influence britannique est palpable (Bugz in the Attic, 4hero, etc.), Molasses est profondément australien. Brisbane, Melbourne, Sydney forment un triangle fertile pour ces hybridations électro‑jazz‑soul. Sampology y creuse un sillon d’avant-garde populaire, où Laneous (guitare), The Dieyoungs (batterie) et Dan Kye (synthés, groove) fusionnent leur énergie. Ce n’est pas un supergroupe, mais un courant — et Slade en incarne aujourd’hui la voix la plus subtile. Ce disque ne cherche pas la perfection, il vise la justesse. Molasses est un flux, un tissage d’émotions, un disque-cocon mais jamais mou.
Big World , en clôture, est peut-être la plus belle promesse : une ouverture au monde, sans naïveté ni excès. Slade semble dire : je vous donne à entendre ce qui se joue sous la peau. Il y a, dans ce disque, cette manière rare d’oser le ralenti. De laisser parler les vibrations basses, les demi-silences, les voix sans masque. C’est un disque pour l’âme, mais pas celle qui plane. Plutôt celle qui s’incarne — et qui ose, parfois, descendre dans les profondeurs.
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