En 2012, dans le sillage de Fukushima, la chanteuse expérimentale Phew, l’écrivaine Erika Kobayashi et le pionnier électronique Dieter Moebius scellaient un hommage aux ouvrières sacrifiées du radium. Bureau B le réédite cet été (2025), offrant à ce disque-concept rare un second souffle, à la fois mémoire et alarme
Composé comme une suite de portraits, Radium Girls oscille entre bruits industriels, voix suspendues et silences électriques. Chaque piste déploie une intensité narrative qui dépasse la simple écoute : c’est un album qui raconte l’histoire de femmes irradiées dans les années 1920, mais aussi celle des résistances invisibles d’hier et d’aujourd’hui…
Scintillements et cendres

L’histoire commence en 2010 : Moebius envoie à Phew des pistes inédites. Deux ans plus tard, la catastrophe de Fukushima imprègne l’air. Erika Kobayashi évoque les Radium Girls, ouvrières américaines qui peignaient à la main des cadrans lumineux à la peinture radioactive. Leurs combats juridiques, remportés au prix de leur santé, deviendront un précédent majeur dans la défense des travailleurs. Une matière sonore hantée ? Le disque est brut comme une sirène d’usine : Marie scintille de voix spectrales, Helena s’enfonce dans des basses souterraines, Anna claque comme une horloge brisée, Manhattan Project palpite au rythme d’une menace invisible… À travers ces huit titres, les textures électro de Moebius servent de terrain mouvant aux mots et aux respirations de Phew et Kobayashi.
« Moebius m’a envoyé un CD-R… Lorsque j’ai parlé des Radium Girls avec Erika Kobayashi, l’idée de l’album-concept est née. Nous avons conservé l’ordre des morceaux. » — Phew (2025)
La mémoire en vinyle

Sorti d’abord en CD sous le nom Project UNDARK – Radium Girls 2011, l’album reparaît en vinyle pour la première fois, à l’occasion du 80e anniversaire d’Hiroshima et Nagasaki. La réédition prend des airs de geste politique : tendre l’oreille à ce qui fut, pour mieux percevoir ce qui persiste. Un écho toujours présent. Plus qu’un hommage historique, Radium Girls agit comme une vibration qui traverse le temps : il relie l’Amérique industrielle des années 1920 au Japon post-Fukushima, et rappelle que les véritables lumières se paient parfois d’ombres durables. Dans le souffle mêlé de voix et de machines, Radium Girls offre un fragment de lutte, un éclat de mémoire, et la certitude que certaines histoires doivent continuer à se faire entendre.