Publié le 19 septembre 2025 chez Stones Throw Records, Beat Tape III ne ressemble pas à un album classique. C’est un recueil de fragments, des morceaux souvent réduits à une minute, parfois deux, où Benny Sings dessine ses idées comme on griffonne des lignes dans un carnet. Dans ce minimalisme se loge une forme de liberté rare, presque fragile : celle de laisser l’inachevé respirer
Avec ses 22 titres, Beat Tape III assume sa succession de moments suspendus. Dans la lignée des beat tapes de J Dilla ou Madlib, mais transposée à la douceur pop-soul propre à Benny Sings, l’œuvre revendique sa légèreté. C’est une musique qui parle autant par ses silences que par ses mélodies. En filigrane, une question : qu’est-ce qui fait “chanson” aujourd’hui ?
Le fragment comme méthode

Écouter cet album, c’est accepter de ne pas se poser. Aucun morceau ne cherche à s’imposer comme un single, beaucoup se dissipent avant même d’avoir pris forme. Là où d’autres prolongeraient un beat, Benny coupe net, laissant l’auditeur flotter dans l’entre-deux. Ce refus de l’achèvement, loin d’être une faiblesse, s’inscrit dans une esthétique précise : dire moins, mais dire juste. Les voix comme éclats : autour de Benny gravitent Leven Kali, June Amor, Mathilda Homer, Kelsey González, Dean Tippet. Des apparitions furtives, qui rappellent les silhouettes croisées dans une ville au crépuscule. Leur présence n’est pas décorative, elle fonctionne comme des ponctuations, des halos. Chaque invité apporte un contrepoint, mais aucun ne brise l’équilibre fragile du disque : celui d’une esquisse qui ne veut jamais devenir fresque.
« Il y a une certaine liberté à partager des chansons qui n’ont pas pu faire partie de l’album, mais qui ont quand même leur magie » — Benny Sings, à propos de Beat Tape III .
Entre héritage et effacement

Le format “beat tape” a une histoire lourde, façonnée par la fièvre de J Dilla (Donuts), les collages de Madlib, ou encore les explorations lo-fi des années Bandcamp. Benny Sings s’inscrit ailleurs : il détourne la technique pour la plier à sa pop feutrée. Pas de saturation, pas de chaos : juste un effleurement. On pourrait reprocher à l’ensemble un manque de rugosité, mais c’est dans cette retenue que se cache son geste. Le non-dit comme langage ? Chaque piste agit comme un espace de projection. Ce que l’on n’entend pas devient tout aussi important que les accords ou les voix. Dans un monde saturé d’images et de sons, Benny choisit la voie du minimalisme, presque de l’effacement. Une façon de nous rappeler que la musique n’est pas seulement une accumulation, mais aussi un retrait. Beat Tape III n’est pas une œuvre qui s’impose. C’est un disque qui murmure, qui suggère. Il peut sembler mineur, mais il ouvre une brèche : et si l’art du fragment, du presque rien, était une réponse aux excès de l’époque ? Ce geste humble, presque effacé, pourrait bien être la plus belle déclaration de Benny Sings depuis longtemps.