Enregistré au Japon à l’automne 2024, Cloud Time marque une étape rare dans le parcours d’Emily A. Sprague. Une série d’improvisations captées sur le fil du voyage, entre lieux, énergies et présences, qui fait de l’écoute un rituel de dépouillement. Plus qu’un simple disque live, c’est un carnet d’âmes, une méditation sur le temps vécu et l’abandon du contrôle
Avec Cloud Time, Emily A. Sprague transforme sa première tournée japonaise en expérience spirituelle sonore. L’album, composé d’enregistrements réalisés chaque soir entre Hokkaido et Nagano, explore la relation intime entre espace, instant et mouvement intérieur. Entre ambient, silence et résonance, l’artiste américaine (connue pour son travail solo et au sein de Florist) invite à une écoute habitée, où la musique n’est plus objet mais phénomène…
Cartographie d’un souffle

Sept dates, sept espaces, sept instants de pure coïncidence entre geste et lieu. Loin des structures fixes, Cloud Time s’enracine dans le principe de l’improvisation totale. Sprague abandonne toute volonté de maîtrise : « Je voulais apporter à l’espace une version entièrement présente et unique de moi-même et de la musique. » Ce choix radical, presque ascétique, fait de chaque enregistrement un fragment de souffle partagé avec le public, une capture fragile du “maintenant”.
Japon, terre de résonances. Ce premier voyage au Japon agit comme un révélateur. Sprague s’y confronte à une culture du silence, du détail, de la respiration. L’album se lit comme un carnet de terrain acoustique, entre Hokkaido, Tokyo, Osaka ou Matsumoto, où chaque lieu imprime sa texture. Le bruit du public, l’air du soir, les réverbérations naturelles deviennent partie intégrante de la composition. Dans cette écoute ouverte, la frontière entre performance et environnement se dissout.
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« I wanted to bring to the space that I would be performing within an entirely present and unique version of myself and therefore the music. Something that existed only there, with anyone who was also there. » – Emily A. Sprague, notes de l’album Cloud Time (RVNG Intl., 2025)
Improviser, c’est disparaître

L’idée de “non-préparation”, loin d’un désengagement, prend ici la forme d’un engagement absolu envers le présent. Sprague choisit l’improvisation comme discipline d’effacement : laisser venir, accueillir, rendre grâce. Dans le sillage d’artistes comme Pauline Oliveros ou Laraaji, elle fait de la pratique sonore un état de conscience. Cloud Time se révèle ainsi comme une étude du lâcher-prise, un dialogue entre énergie et éphémère. La mémoire comme paysage : en fixant ces moments fugitifs, Sprague ne cherche pas à les immortaliser, mais à leur offrir une forme d’écho.
Chaque morceau devient trace d’un temps qui ne reviendra pas, une “archéologie sonore” selon ses mots. Masterisé par Stephan Mathieu, l’album garde cette patine vibrante des lieux traversés. Rien n’est poli, tout respire. Et cette respiration, c’est peut-être cela, la vraie musique : la vie qui passe sans qu’on la retienne. Cloud Time prolonge la quête d’Emily A. Sprague vers une forme d’unité entre soi, le monde et le son. Un disque à écouter comme on contemple un nuage, pour sa forme mouvante, pour ce qu’il laisse deviner du passage, et pour la douceur qu’il dépose, une fois disparu.



