Quand Bendik Giske se prête au jeu du remix, ce n’est pas pour édulcorer son propos, mais pour en creuser les failles. Remixed (Smalltown Supersound, 2025) pose la question du « qui souffle, qui module », et invite à relire le saxophone au prisme des corps partagés, des machines et du souffle fragmenté
Remixed revisite l’album de Bendik Giske via six réinterprétations de figures fortes : aya, Carmen Villain, Beatrice Dillon, Wacław Zimpel, Hieroglyphic Being et Hanne Lippard. À travers ce dialogue, le projet propose une cartographie sonore de tensions, entre l’organique et l’électronique, le bruit et le silence, la rupture et la circulation. Cet album éclaire Bendik Giske autrement, tout en ouvrant des pistes d’écoute vers le club, l’ambient ou la transe abstraite…
Réparer le souffle, redessiner le geste

Confier ses pistes à des artistes reconnus pour leur finesse électro, c’est un acte de vulnérabilité doublé d’un pari : que le matériau survive, qu’il soit remanié avec respect ou subverti. Le remix n’est pas ostentation, mais excavation. Et dans cette excavation, ce sont les résidus – cliquetis, respirations, micro-crachotements — qui tiennent l’armature des morceaux originels, comme une signature viscérale. Cartographie des voix remixées : chaque artiste injecte sa lisibilité. Carmen Villain redessine Slipping par touches de dub-minimalisme, presque méditatif. aya propulse Slipping (Aya Been Caught Mix) dans un terrain polyrhythmique, hypnotique, accrocheur. Wacław Zimpel explore Slipping par des gestes suspendus, quasi méditatifs. Hieroglyphic Being transforme Start en tension club, épaisse et sculptée. Hanne Lippard se saisit de Not Yet, jouant sur les mots et la discontinuité. Enfin, Beatrice Dillon propusle Rise and Fall à sa « forme nue », laissant respirer chaque trait.
« It’s not really about the saxophone, it’s about the movement and the intention behind it. »— Bendik Giske
Tensions, frictions et cohérences

L’unité de Remixed tient dans la persistance du matériau originel — souffle, micro-phrasé, texture — mais aussi dans la tension entre les versions. Là où l’ambient tendrait à apaiser, le remix porte la fracture ; là où le club impulserait, le fragile résiste. Cela crée une sorte de tissu oscillant — la version peut être plus radicale que l’originale — mais jamais gratuite. Certes, quelques remixes paraissent davantage « version de remixeur » que dialogue avec Giske. Le défi artistique : ne pas effacer, mais altérer, en gardant un coeur soufflé.
Perspectives & rayonnement possible : Remixed peut toucher — au-delà du cercle des amateurs de musiques expérimentales — les DJs, les programmateurs de clubs, les radios spécialisées… Il offre un terrain mouvant pour les sets ou les playlists hybrides. En même temps, son statut d’album de remix met à l’épreuve la durabilité de l’œuvre originale. Mais c’est dans ce va-et-vient que le projet prend sens : Remixed ne réécrit pas Giske, il le prolonge. Il rappelle que toute œuvre est un palimpseste, et que dans l’intervalle se jouent les contradictions, les révoltes et les délicatesses du souffle. L’album ne s’impose pas comme une simple collection de variations, mais comme une zone de friction créative — un espace où chaque souffle est mis en jeu, redoublé, réinventé, et où le silence, enfin, parle aussi fort que la note.
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