Sous le nom d’Arp, Alexis Georgopoulos signe avec Drifts un album de douze pièces suspendues entre le fracas et la quiétude. Enregistré entre New York et Tokyo, le disque explore cette zone trouble qui suit la tempête : un espace où l’air reste chargé, vibrant d’une tension douce, presque électrique
Avec Drifts, Arp présente une collection de douze pièces où souffle un vent de calme chargé d’électricité. Entre l’après-orage et le renouveau, l’album explore un territoire où l’improvisation se mêle à la sculpture, la trace à l’absence. Ni tout à fait ambient, ni purement néo-classique, Drifts trace sa route dans un clair-obscur sonore. Piano, harpe, cordes et synthétiseurs modulaires s’y croisent comme autant de forces naturelles en lente recomposition. Les collaborations de Takuma Watanabe, Marilu Donovan (LEYA) et Patrick Belaga ajoutent une densité tactile à cette musique d’après-coup, une musique de reconquête intérieure, où l’improvisation devient sculpture du temps…
Après la tempête, la résonance

Tout commence par une impression d’air humide. Les sons s’y déplacent comme des nuages encore lourds, porteurs de mémoire. Arp parle ici de “charged, tranquilized vapors” : des vapeurs tranquilles, traversées d’électricité. La texture de Drifts s’inscrit dans cette contradiction féconde : calme mais chargé, apaisé mais vibrant. Les morceaux semblent nés d’un geste unique, modulé, repris, resamplé, jusqu’à obtenir cet état flottant où chaque note pèse juste ce qu’il faut. C’est de la musique d’ombre claire, plus instinctive qu’intellectuelle.
Des alliés dans la dérive : Patrick Belaga au violoncelle, Marilu Donovan à la harpe, Takuma Watanabe à l’électronique : ces présences ne font pas qu’orner le décor, elles modèlent l’espace. Chaque invité étire le champ des possibles : la harpe se brouille en cordes liquides, le violoncelle tire des lignes telluriques, les synthés modulaires respirent comme des organismes. On sent la volonté d’Arp de ne plus séparer acoustique et électronique. Le geste reste humain, même quand il passe par le filtre. Et cet équilibre, rare, évoque autant Harold Budd que Ryuichi Sakamoto, des musiciens qui savaient, eux aussi, dialoguer avec le silence.
• À lire aussi sur Houz-Motik : Avec E, Eliana Glass façonne un piano de l’intime
“I think I like leaving space so that the listener can fill in the blanks differently.” – Alexis Georgopoulos
Le calme n’est jamais neutre

Les titres de Drifts ne cherchent pas l’évidence : ils glissent, s’effilochent. Ce n’est pas une musique d’ambiance mais d’attention. Elle exige un ralentissement. L’album pourrait servir de refuge, mais c’est un refuge mouvant, traversé de forces invisibles.
La matière sonore est riche, mais jamais saturée : piano feutré, field recordings, nappes aux reflets métalliques. Le mixage de John Thayer et le mastering de Stephan Mathieu accentuent cette sensation d’immersion sans gravité. On y respire comme sous l’eau.
L’art de laisser des vides. L’esprit de Drifts repose sur la retenue, laisser circuler l’air, laisser l’auditeur combler les absences. On pense à la lenteur du cinéma contemplatif, à ces plans où rien ne bouge et où pourtant tout se transforme. Drifts agit de la même manière, comme un film intérieur sans image, où le mouvement est celui de la mémoire. Avec Drifts, Arp signe peut-être son disque le plus abouti. Moins conceptuel que certains de ses travaux passés, plus incarné que d’autres, il semble trouver ici sa juste distance : entre la matière et l’éther, entre l’intime et le cosmique. Un album-refuge pour temps incertains, à écouter comme on observe la mer reprendre son calme, sans savoir si la houle reviendra.


