LP Fernande, Cecile

Avec « Fernande, Cecile », Natasha Pirard invoque l’ombre et la lumière dans les souvenirs

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Entre mémoire vacillante et gestes sonores patiemment tressés, Natasha Pirard transforme l’intime en matière musicale. Fernande, Cecile, produit et mixé par David & Stephen Dewaele (Soulwax/DEEWEE), explore la transmission matrilinéaire, l’effritement des souvenirs et la façon dont une voix, un violon ou un souffle peuvent encore porter ce qui reste d’une histoire familiale

Dans ce disque scindé en deux chapitres, l’un dédié à la grand-mère disparue, l’autre à la mère encore présente, Natasha Pirard construit un terrain où l’ambient, les field recordings et les textures acoustiques se répondent. Le résultat, fragile mais ancré, interroge la mémoire autant qu’il la raconte. L’album ouvre un espace où l’absence circule encore, soutenue par un travail de production d’une précision quasi documentaire…

Cartographie d’une transmission

Photo Natasha Pirard
Natasha Pirard DR

Le disque repose sur une articulation simple : deux femmes, deux récits, deux vibrations différentes. Pirard revient à la grand-mère qu’elle a perdue très tôt, en cherchant dans la matière sonore ce que la mémoire refuse parfois de donner. Chaque fragment, une note de violon retenue, un frottement, un souffle capté dans le jardin familial, agit comme une tentative de reconstitution. Les souvenirs ne sont plus des scènes, mais des textures. La mère, elle, occupe l’autre versant : présence continue, geste protecteur, parole vive. Là, la musique se densifie légèrement, comme si le fil qui relie les deux femmes n’avait jamais cédé.

L’atelier intérieur : voix, violon, synthés et espace. Le cœur du disque se joue dans l’assemblage , voix proche, presque chuchotée ; violon à la fois acoustique et retraité ; nappes synthétiques fines, jamais dominantes ; field recordings tenus comme des pistes d’archives. Ces éléments ne cherchent pas l’effet, ils cherchent la justesse. Les Dewaele travaillent ici en retrait visible, mix ample, séparation claire des plans, attention extrême au grain. La production met l’accent sur la porosité, laisser circuler l’air, accepter l’imperfection, souligner les micro-événements. Résultat : un disque où chaque son semble tenir entre deux doigts, sans serrer.

 

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« The past is never dead. It’s not even past. » — William Faulkner (Requiem for a Nun – 1951)

Fernande : la mémoire qui s’efface

Photo Natasha Pirard
Natasha Pirard DR

La première partie avance comme un souvenir qui s’érode. Notes brèves, motifs incomplets, rythmes qui surgissent puis se retirent. Pirard ne raconte rien : elle laisse les sons suggérer ce qui s’est perdu. Le violon devient ligne spectrale, les synthés un voile, et les bruits d’oiseaux, dont celui que sa grand-mère aimait, forment un arrière-plan mouvant. Le thème de l’Alzheimer n’est pas exposé frontalement. Il s’entend dans les absences, dans les coupes sèches, dans les idées musicales qui refusent de se fixer. Lorsque la voix apparaît, elle ne décrit pas ; elle incarne.

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Cecile : tenir, accompagner, transmettre. La seconde face s’ouvre davantage. Ici, les compositions respirent mieux : lignes plus longues, couches plus stables, pulsations internes qui guident sans imposer. On sent le rôle de la mère : soutien, présence, continuité. Les Dewaele donnent plus de corps au spectre médium, ce qui confère à cette partie un ancrage différent. Le disque passe du fragile au tenu, du fragment à la phrase. C’est une manière d’affirmer que la mémoire n’est pas que perte : elle se reconstruit, même lorsqu’elle se fissure. Fernande, Cecile avance dans une zone délicate, celle où le privé devient partageable. Pirard ne s’y perd pas : elle en tire une œuvre attentive, précise, portée par un travail sonore qui écoute autant qu’il raconte. Un disque qui tient dans la main comme un fragment de lumière : petit, mais nécessaire. Et qui laisse penser que certaines transmissions ne s’effacent jamais tout à fait, tant qu’on accepte de les réentendre autrement.

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