Avec Dream of Snakes, Lila Tirando a Violeta signe un disque charnière. Plus frontal, plus physique, mais aussi plus intime que ses précédents travaux, cet album paru sur Unguarded cristallise un moment de déplacement géographique, émotionnel et esthétique ; une musique pensée pour le corps, traversée de souvenirs, de rêves et de fractures
Ni disque de club au sens strict, ni journal intime déguisé, Dream of Snakes se situe dans une zone intermédiaire…Lila Tirando a Violeta y transforme l’expérience du déracinement en énergie rythmique, mêlant musique électronique, field recordings, pulsions industrielles et réminiscences latino-américaines. Un disque qui interroge autant le rôle du dancefloor que celui de la mémoire, et qui ouvre des perspectives claires sur une scène électronique de plus en plus hybride, décentrée, indocile…
Quitter le récit, retrouver le corps
Lila Tirando a Violeta DR
Après plusieurs projets très conceptuels, Lila choisit ici une autre voie. Moins de narration explicite, plus de sensations ! Le moteur du disque n’est pas une histoire à raconter, mais une nécessité physique : sentir la musique circuler dans le corps. Cette décision n’est pas anodine. Elle marque une rupture avec une certaine tradition de l’album « à message » au profit d’une approche plus instinctive, presque somatique. Le club redevient un espace primaire, un lieu d’impact direct. Paysages irlandais, mémoires sud-américaines : installée en Irlande depuis 2023, Lila intègre à sa musique des enregistrements réalisés lors de longues marches dans la campagne. Mais ces sons extérieurs ne servent pas de décor naturaliste. Ils sont dissous, hybridés, avalés par des machines nerveuses. En parallèle, les rythmiques et certaines inflexions mélodiques restent profondément ancrées dans une mémoire sud-américaine diffuse, jamais folklorique. Le résultat n’est pas une fusion, mais une friction permanente…
« I wanted to feel the music coursing through my nervous system, that same adrenaline rush I get when watching a David Cronenberg film. » — Lila Tirando a Violeta
Le rêve comme boussole
Lila Tirando a Violeta DR
Le titre de l’album renvoie à un rêve récurrent de serpents, pas menaçants, mais apaisants. Ce détail est central. Il donne au disque une tonalité ambiguë, entre tension et réconfort. La référence assumée à Sueño con Serpientes de Silvio Rodríguez n’est pas un clin d’œil nostalgique, c’est un point d’ancrage émotionnel. Une manière de relier l’enfance, la transmission et l’expérimentation contemporaine.
Un disque de club, sans compromis : musicalement, Dream of Snakes refuse toute hiérarchie claire. Les morceaux s’enchaînent comme des états : ambiances nocturnes, techno mutante, goth-rock sous tension, breakbeats ritualisés, éclats synth-pop désaxés. Les collaborations (Sideproject, Lighght, JQ) ne diluent jamais la vision d’ensemble. Elles l’épaississent. Lila reste au centre, dirigeant un flux où l’IDM, l’industriel et la body music se contaminent sans chercher la lisibilité immédiate. Dream of Snakes ne cherche ni à rassurer ni à séduire. Il impose une écoute active, corporelle, parfois inconfortable. En cela, il rappelle que la musique de club peut encore être un espace de transformation, pas seulement un lieu de consommation.
Antoine Brettman est un bricoleur d'images et de sons... Son travail s'inscrit dans le courant de l’art vidéo par la réappropriation d'œuvres audiovisuelles, où il exploite la virtualité des images afin de confronter au monde réel son recyclage d'histoires.