Plusieurs disques. Plus de trois heures. Aucun ordre imposé. Avec Disquiet, The Necks poursuivent leur entreprise patiente de dérèglement du temps et de l’écoute. Vingtième album studio, trente-neuvième année d’existence : pourtant rien ici ne sonne comme un bilan, plutôt comme une zone ouverte, sans centre ni hiérarchie, où l’attention devient un acte volontaire
En cette période de fêtes de fin d’année, chez Houz-Motik on s’est dit : « et si on partageait du temps…? ». Chose dite, chose faite avec cet espace assez long, voire très long, poreux et exigeant, dans lequel l’auditeur est libre, mais responsable, de sa manière d’entrer, de rester, ou de s’échapper. Disquiet, de The Necks, ne cherche ni l’adhésion immédiate ni la tension spectaculaire, il propose une œuvre hybride, entre jazz et ambient, qui prolonge la singularité radicale du trio tout en en déplaçant subtilement les règles…
Aucune carte, aucun nord

Il n’y a pas de Disc 1, pas de trajectoire fléchée. Les quatre pièces longues de Disquiet peuvent être abordées dans n’importe quel ordre, ou sans ordre du tout. Ce choix éditorial n’est pas un gadget conceptuel : il prolonge la logique même de la musique des Necks. Une musique qui n’avance pas, mais qui s’étend. Qui ne raconte pas, mais qui insiste. Le temps y est dilaté, presque suspendu, et l’album devient moins une suite qu’un champ de forces. Une intuition collective à l’os. Piano, contrebasse, batterie, et tout ce qui se glisse entre ces éléments. Chris Abrahams, Lloyd Swanton et Tony Buck travaillent ici à une échelle microscopique. Variations infimes, tensions retardées, motifs qui émergent puis se délitent sans jamais se résoudre. Rien n’est démonstratif. Tout est intentionnel. Le trio pousse encore plus loin cette écriture instantanée qui repose sur l’écoute mutuelle, la retenue, et une confiance absolue dans la durée.
« Improvisation is not about freedom from responsibility, but about taking responsibility in real time. » — Chris Abrahams, entretien avec The Wire
L’auditeur comme co-auteur

Depuis toujours, la musique des Necks implique celui qui l’écoute. Disquiet accentue cette responsabilité partagée. Où porter son attention ? Faut-il même en porter une ? Peut-on laisser filer ? Cette œuvre ne récompense pas l’écoute distraite, mais elle n’impose rien non plus. Elle ouvre des possibilités. Elle invite à choisir, ou à renoncer au choix…
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Une continuité sans répétition ? Textural, dense, parfois traversé de phases plus nerveuses ou de cliquetis propulsifs, Disquiet reste immédiatement identifiable comme un disque des Necks. Mais il évite l’auto-citation. Les motifs évoluent lentement, les couleurs changent par frottement, jamais par rupture. L’album absorbe. Il ne cherche pas à convaincre. Il installe. Disquiet ne se traverse pas : il se fréquente. Un disque qui ne cherche pas à marquer l’époque, mais à creuser un rapport au temps, à l’écoute, et à l’abandon. Une œuvre qui, sans bruit, continue d’élargir le territoire des Necks.



