Dans son premier album, L’écho des choses, Ama S navigue entre souvenirs électroniques et figures imaginaires, porté par le souffle doux de ses inspirations et le charme familier du silence ; une musique de chambre pour fantômes bienveillants
Avec L’écho des choses, Ama S signe un premier album sensible et habité. Victor Jean n’a jamais cherché l’évidence. Derrière son alias se dissimule un homme (dont on a déjà parlé pour Screener 36) qui regarde autant qu’il écoute, et monte des images autant qu’il fait chanter ses machines, dans le silence feutré de son studio bruxellois. Sorti discrètement sur le label allemand Cosima Pitz, L’écho des choses constitue son premier album, fruit de quatre années de fabrication patiente entre 2020 et 2024, période où le monde s’est refermé sur lui-même et où les créateurs ont inexorablement redéfini leur rapport à l’intime. Le musicien ne cherche pas le genre, encore moins l’étiquette, ce n’est ni un album-concept ni une compilation de beats, plutôt une chambre d’échos de l’âme figée dans une carte postale sonore au format cassette audio, territoire où l’enfance de l’imaginaire croise la maturité technologique contemporaine…
Le bruit du dedans

Issu d’une lignée musicale établie – son père Thierry Jean fonda le label Spacecraft dans les années 90 à Limoges – Victor a grandi entre jazz et synthétiseurs, adolescent planant sur les basses du reggae et du trip-hop, jurant par DJ Krush, Shadow et Vadim avant d’embrasser successivement le hip-hop old school, la techno minimale puis acid, l’IDM et les glitchs de Warp Records. Si éloignée soit-elle de notre époque, cette fondation éclectique transparaît par bribes jusque dans L’écho des choses, opus qui refuse obstinément les étiquettes pour fabriquer des instants, des micro-fictions sans paroles où ses machines obéissent aux impulsions du moment. Contrairement à ses montages vidéo, la musique lui offre un terrain de jeu immédiat où rien n’est figé, tout circule dans des rythmiques qui avancent à pas feutrés, des nappes sorties d’un rêve flou mais d’une précision technique remarquable.
L’album se déploie comme une plongée dans une cartographie intérieure où chaque morceau agit tel un micro-film, un flash de mémoire, un objet sonore non identifié qui transforme l’écoute en voyage contemplatif. On y croise des chiens bleus, des géants de pierre, un Mr. Greentree et une princesse Raspberry, imaginaire qui s’invite dans les titres sans tomber dans la poésie facile mais révèle plutôt la capacité d’Ama S à transformer le quotidien technologique en récit sensible. Le morceau éponyme illustre parfaitement cette approche hors-champ, en arrière-plan, où chaque élément agit comme un souvenir qui se trouble à mesure qu’on le fixe, tel le dub onirique de Cool Créatures qui synthétise admirablement cette esthétique de la nuance contre l’effet spectaculaire.
Une musique de chambre pour fantômes bienveillants, où chaque morceau agit comme un souvenir qui se trouble à mesure qu’on le fixe.
L’artisanat de la dérive douce
L’écho des choses s’inscrit parfaitement dans cette mouvance contemporaine d’artistes qui privilégient l’intimité électronique face aux fracas du monde, journal sonore tenu à la marge entre impulsions numériques et souvenirs réfractés. Victor Jean ne plaque rien, il laisse venir ; militant du chill qui place Replica d’Oneohtrix Point Never juste après Lifestyles of the Laptop Café de Stinson dans son panthéon personnel, révélant un goût sûr traversé de références exigeantes.
Ce premier album constitue déjà une trace belle, humble et habitée qui annonce un parcours artistique prometteur, à l’image de cette génération qui compose à l’instinct, transforme la technologie en confidence et fait du silence un territoire d’expression à part entière. Le disque s’écoute comme on tourne les pages d’un carnet secret. Loin des carcans du format, proche des émotions qui débordent quand l’enfance de l’imaginaire croise la maturité sonore ; un très beau premier album, libre et inventif.
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