Free Party: A Folk History, danser pour désobéir

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7 min de lecture

Un documentaire pour une histoire tapie sous les platines : celle des free parties britanniques des années 90, entre résistance sonore et répression politique. À travers les voix de Spiral Tribe, DiY Sound System ou Colin Dale, Free Party: A Folk History ravive la mémoire d’un mouvement subversif ; première mondiale en ligne le 30 mai

Il est presque minuit, un vieux mix acid techno fait sautiller les enceintes alors que surgit (par hasard ?) la bande-annonce de Free Party: A Folk History. Un trailer sec et dense, saturé d’images lo-fi de sound systems empilés à la va-comme-je-te-pousse, de visages défoncés à la joie brute, et d’un flic en gilet pare-balles sur fond de champs détrempés. Evidemment, on clique ! Le son monte, et les souvenirs jaillissent…

Mémoire d’un mouvement sous pression

Photo Aaron Trinder
Aaron Trinder DR

Les années 90. Celles des rave trucks, des squats légalisés à moitié, des week-ends sans douches ni sommeil, et de la techno comme cri collectif. C’est cette époque suspendue qu’Aaron Trinder explore dans son film documentaire Free Party: A Folk History. Un hommage vivant à un mouvement devenu synonyme de liberté et de désobéissance joyeuse. Avec les voix de Spiral Tribe, Colin Dale et DiY Sound System, le film est traversé par celles et ceux qui ont vécu les raves de l’intérieur — dans la sueur, la boue, et les frissons de l’instant.

« Ce film est un regard unique sur un moment largement sous-représenté de l’histoire culturelle » — Aaron Trinder, réalisateur

Spiral Tribe
Spiral Tribe DR

Castlemorton, épicentre de la secousse

Photo Mark Angelo Harrison
Mark Angelo Harrison (Spiral Tribe) DR

Point d’orgue : le Castlemorton Free Festival de 1992. Un événement devenu mythique. Une rave géante, sans autorisation, qui dura une semaine dans les collines de Malvern. Des milliers de personnes, des heures de son, un désordre aussi libre que sonore… qui déclencha une réponse politique d’une violence inédite. Deux ans plus tard, le Criminal Justice Act entrait en vigueur. Il interdisait les rassemblements non autorisés, ciblait les musiques à « rythmes répétitifs », criminalisait la fête comme forme d’occupation du territoire. L’Angleterre entrait dans l’ère du contrôle massif des corps dansants.

« Le pouvoir célèbre les puissants et enterre les mouvements populaires. Ce film exhume ce qu’on voulait faire taire. »
— Mark Angelo Harrison (Spiral Tribe)

Une histoire qui résonne encore

Derrière les beats, Free Party: A Folk History réactive un souvenir collectif. Pas pour le fétichiser — mais pour rappeler ce que signifiait alors danser ensemble : une manière de prendre l’espace, de refuser les règles, de construire du lien en marge du monde marchand. Aujourd’hui, avec le retour de lois sécuritaires en Europe et les restrictions sur la liberté de réunion, cette histoire sonne plus actuelle que jamais.

Le film devient alors un geste politique autant qu’un document culturel. Pas besoin d’être nostalgique pour cliquer sur Play. Free Party: A Folk History est un morceau d’histoire, une secousse sonore, un appel à réoccuper l’imaginaire collectif. Parce que parfois, danser est la plus belle des façons de dire non !

Pendant ce temps-là, en France…

Mobilisation pour les Free-Party
Mobilisation Free-Party – Limoges, 12 avril 2025 © Cyprien Rose

Tandis que Free Party: A Folk History s’apprête à raviver la mémoire d’une époque où danser était un acte de résistance, la réalité présente n’a rien d’un flashback nostalgique. Ce samedi 12 avril 2025, les sound systems ne résonnaient pas dans les bois, mais au cœur des villes françaises : à Rennes, une sono mobile a ouvert la marche d’un cortège joyeux et déterminé, suivi par plus d’un millier de teufeurs ; à Limoges près de 200 personnes se sont également rassemblées derrière des camions sono.

Une semaine plus tôt, ils étaient 1 500 à Montpellier pour dénoncer l’étau qui se resserre sur les fêtes libres. Derrière les beats : des slogans, des pancartes, et une colère calme mais profonde contre la répression croissante des free parties, ces rassemblements souvent improvisés, gratuits, ouverts, vivants. Dans certains départements, des arrêtés préfectoraux interdisent désormais ce qu’on appelle pudiquement des « rassemblements musicaux illicites » – et avec eux, la liberté d’expérimenter des formes alternatives de fête.

Une autorisation pour rêver ?

Mobilisation pour les Free-Party
Mobilisation Free-Party – Limoges, 12 avril 2025 © Cyprien Rose

La tension monte d’un cran : contrôles renforcés, saisies de matériel, menaces de prison pour les organisateurs. Une proposition de loi, déposée en mars, prévoit jusqu’à six mois ferme pour celles et ceux qui oseraient bâtir un mur de son dans un champ. Une criminalisation assumée d’un monde qui s’autogère, qui nettoie ses lieux, qui exclut les comportements dangereux, et qui affirme qu’on peut faire société… en dansant. « On risque la taule pour deux enceintes et un anniv’ », lâche Victor Lacroix, du FSJS, face à une dérive répressive où la loi se mélange aux fantasmes. Et pourtant, malgré les coups de pression, malgré les amendes et les interdictions, les free parties continuent : invisibles, mobiles, adaptables… Comme une musique souterraine qu’on ne peut jamais vraiment faire taire.

Buy Me A Coffee

Fondateur de Houz-Motik, Cyprien Rose est journaliste. Il a été coordinateur de la rédaction de Postap Mag et du Food2.0Lab. Il a également collaboré avec Radio France, Le Courrier, Tsugi, LUI... Noctambule, il a œuvré au sein de l'équipe organisatrice des soirées La Mona, et se produit en tant que DJ.

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