Dans une Rhodésie ségrégationniste à feu et à sang, des musiciens des townships ont allumé une révolution électrique. Avec Roots Rocking Zimbabwe, le label Analog Africa exhume une génération de groupes qui ont inventé, entre rock psyché, rumba et sonorités shona, la bande-son de la liberté
Avec Roots Rocking Zimbabwe, Analog Africa met en lumière une scène oubliée mais capitale de la musique africaine moderne. Plus qu’une compilation, c’est une plongée dans une époque où la musique servait autant à danser qu’à combattre l’ordre colonial. Alors que la redécouverte des patrimoines sonores africains s’intensifie, ce disque s’impose comme une pièce essentielle pour repenser les racines électriques de l’Afrique contemporaine. Une suite serait non seulement souhaitée, mais nécessaire.
25 pépites pour une indépendance musicale

La scène semble irréelle : en 1972, le Rhodesia Herald, journal de la minorité blanche au pouvoir, affiche en une le visage de Manu Kambani, guitariste noir de Dr Footswitch, avec ce cri de ralliement assez inattendu – « Jimi Hendrix is dead but Manu is alive ». Le jeune homme, capable de reproduire les gestes incendiaires du guitar hero américain, devient l’icône d’une jeunesse noire qui n’a plus peur de se faire entendre. Dans les townships de Salisbury, une scène musicale naît, rebelle, hybride, décomplexée.
Avec Roots Rocking Zimbabwe – The Modern Sound of Harare Townships 1975-1980, Analog Africa signe un disque-document aussi rare que bouillonnant. La compilation retrace les débuts d’un mouvement musical underground en pleine guerre de libération, porté par des groupes comme The Acid Band, The Baked Beans ou encore les légendaires Thomas Mapfumo et Zexie Manatsa, dont les concerts finiront par inquiéter les autorités au point de les faire incarcérer.
Enregistrés dans l’urgence par des producteurs pionniers comme Crispen Matema ou West Nkosi, ces morceaux fusionnent rock électrique, soul, rumba congolaise et rythmes traditionnels shona. Le résultat : un son inclassable, vibrant, qui défie les frontières stylistiques autant que politiques. C’est toute une époque en mutation qui s’entend dans ces 25 titres, souvent inédits, où la guitare fuzz devient cri de ralliement et où chaque beat porte l’écho d’une résistance. Un disque qui ne se contente pas de raconter l’histoire : il la fait vibrer — indispensable à toute collection digne de ce nom, Roots Rocking Zimbabwe est un manifeste à écouter fort, très fort.