LP Black Antlers

Black Antlers de Coil : fantômes analogiques et glitchs éternels

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À la fois inabouti et visionnaire, Black Antlers fait partie de ces œuvres où le mystère du processus se confond avec l’aura du groupe. Vingt ans après, le label Dais Records en propose une réédition soignée, chargée de mémoires, de drones, de marimbas et d’outre-mondes. Une porte d’entrée – ou de sortie – vers la plus étrange des musiques électroniques anglaises

« Sex, Synths & Coil ». Entre élan live, technologie artisanale et élégie finale, Black Antlers est un disque-pont. Né d’une urgence créative entre 2003 et 2004, peaufiné en 2006, il revient en 2025 avec un supplément d’âme et une restauration sonore saluée. On y entend Coil au plus organique de sa mutation : voix en transe, percussions distordues, synthés comme des ossements. Cette réédition est aussi un appel d’air : vers une nouvelle génération d’auditeurs, mais aussi vers une mémoire sonore à préserver. Il y a des albums qui ferment des chapitres. D’autres qui les ouvrent. Black Antlers fait les deux à la fois ; et le fait toujours aujourd’hui…

Reptations et révélations

Coil n’a jamais aimé la répétition. D’album en album, la mue était totale – parfois déroutante, souvent visionnaire. Avec Black Antlers, leur musique se fait plus serrée, plus “corps” que “concept”. Le rythme affleure enfin, entre électrons agités et battements quasi tribaux. À cette époque, Sleazy et Jhonn s’ouvrent à la scène, convaincus par Thighpaulsandra que jouer live est non seulement possible, mais vital. La série de concerts Evil Fatigue devient ainsi le laboratoire de cet album-là : chaque performance, un test. Chaque morceau, un terrain mouvant.

Les titres parlent d’eux-mêmes. Sex With Sun Ra, en deux parties, condense l’imaginaire Coil : jazz spectral, onirisme rythmé, glitch cosmique. Les morceaux vivent, s’enroulent, s’échappent. Le travail sonore de Christopherson, enrichi par les textures de Danny Hyde, explore un territoire où l’électronique devient organe. Dans The Gimp (Sometimes), les voix bourdonnent comme un chant de ruche maudite. Et dans Teenage Lightning, vieux tube réanimé, la pulsation se fait presque pop – mais une pop qui danserait dans les ténèbres.

« Reshape the show minute by minute… the direction is very spontaneous, not so much in the way of like jazz improvisation but in a kind of stream of consciousness. » – Peter Christopherson

 

Épitaphe, ou point d’entrée ?

Photo Coil
Coil © Cyprien Rose (Limoges, 2002)

Ce qui frappe ici, c’est l’équilibre trouvé. Les expérimentations de Coil n’étouffent jamais les mélodies secrètes. Même un marimba manipulé reste lisible. Même une nappe de synthé peut cacher une comptine (All the Pretty Little Horses). Il y a une maîtrise étrange dans ce chaos – comme si le groupe avait enfin trouvé comment canaliser ses visions. Le hurdy-gurdy électrique, les flûtes orientales, les field recordings… tout concourt à créer une musique ni new age, ni noise, mais quelque part entre les deux : une musique autre.

Ce disque fut, en un sens, le dernier que Coil ait véritablement façonné ensemble. Après la disparition de Balance, Christopherson s’est fixé une mission : archiver, préserver, transmettre. Cette réédition Dais est le fruit de cet engagement. Elle est aussi un moment rare dans l’histoire des musiques singulières : la possibilité de redécouvrir une œuvre hybride, inclassable, mais jamais froide. Black Antlers, c’est un disque-cerveau. Un disque-corps. Et surtout : un disque vivant.

Buy Me A Coffee

Antoine Brettman est un bricoleur d'images et de sons... Son travail s'inscrit dans le courant de l’art vidéo par la réappropriation d'œuvres audiovisuelles, où il exploite la virtualité des images afin de confronter au monde réel son recyclage d'histoires.

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