Au terme de quinze ans d’activisme noisy et d’undergroundisme féroce, L.I.E.S. Records publie une compilation à l’intitulé provocateur : The Definitive End of a Genre 2010–2025. Derrière ce chant funèbre, un geste d’amour vénéneux pour une techno qui, peut-être, n’a jamais vraiment voulu survivre à ses adorateurs. Une sortie en forme de miroir tendu, où s’entrechoquent mémoire collective, rage contenue et euphorie trouble
The Definitive End of a Genre 2010–2025 ou le dernier soupir d’un genre qu’on disait déjà enterré dix fois. Avec ses vingt titres, cette compilation ose proclamer ce que d’autres murmurent depuis longtemps : la techno, dans son expression la plus pure, serait morte — diluée, récupérée, polie. Mais ce requiem signé L.I.E.S. est moins une épitaphe qu’un rituel d’auto-sublimation. On y croise Silent Servant, Teste, Tzusing, Alessandro Adriani, Regis et d’autres figures de l’ombre, toutes unies pour tracer les contours d’un genre qui s’éteint en pleine combustion. Ce n’est pas une fin, c’est un feu sacré…
Marche funèbre électronique

Il fallait oser. Écrire noir sur blanc : “The end of the genre… it’s over… it’s dead… you killed it… not us!”. Le label new-yorkais L.I.E.S. (Long Island Electrical Systems), jamais avare en manifestes provocateurs, ne cache pas son ironie rageuse. Tout commence sur Bandcamp, là où les résistances se jouent encore à bas bruit. Un prix libre pendant une semaine, 20 morceaux, 15 ans de friction : la techno n’est pas morte, elle se saborde. Et dans cette déclaration, aucun pathos. Plutôt une grimace. Une dernière danse. Le crépitement d’une scène qui se refuse à l’épuisement poli du streaming et du marketing sonore. L.I.E.S. continue de creuser la veine qu’il a ouverte en mai dernier avec House Music Revenge 2010–2025 — même architecture, même nombre de titres, même volonté d’écriture historique par les marges.
La sélection ne se veut pas nostalgique. C’est un collage à vif. On y retrouve Silent Servant — le minimaliste vénéneux — ou Teste, toujours aussi radioactif. Le Chinois Tzusing, héros d’une rave industrielle tropicale. Alessandro Adriani, de Mannequin Records, vient nouer le tout d’une tension synthétique rare. Et soudain, le souvenir d’Oliver Ho, de Mick Harris, de Regis — comme des fantômes revenus pour voir si leur héritage tient encore debout. C’est tendu, c’est sourd, c’est abrasif. Et pourtant, ça respire encore. Un souffle sale. Un battement irrégulier. Ce n’est pas toujours beau (au sens mainstream), mais c’est vivant.
“Pay what you want for a week… The end of the genre… it’s over… it’s dead… you killed it… not us!” — L.I.E.S. Records, Bandcamp, 2025
Memento mori digital

Le geste est lucide. Politique, presque. C’est une façon de dire : vous avez défiguré la techno en la figeant dans un musée. En la vendant au kilo dans les festivals sponsorisés, en confondant brutalité et BPM, en remplaçant le souffle par le preset. Alors les artistes s’effacent. Ils laissent parler la matière. Chaque morceau est un témoin. Un éclat de mémoire ou un râle de surface. Dead genre, répètent les fans avec tendresse sur Bandcamp. “Thank god, we stay underground eternally”, glisse un commentaire. Et c’est peut-être ça, le vrai sens du disque : une réaffirmation de la clandestinité comme source vitale.
Le sacré dans l’effacement ? Dans ce tombeau sonore, il n’y a pas de nostalgie. Juste un feu. Une flamme fine qui refuse de se soumettre. La compilation traverse house rouillée, ambient toxique, techno désossée. L’I.D.M. n’est jamais loin. Le club devient rituel. Le beat, un battement de cœur collectif, ralenti mais pas effacé. Rien ne crie. Tout vibre. Et à la fin, cette étrange impression : la techno n’est pas morte. Elle s’est réfugiée là où les regards ne vont plus. Sous la peau. Dans les fissures. Dans les zones de silence. Là où la lumière ne passe pas. Cette compilation n’enterre donc rien. Elle rappelle juste que la techno n’a jamais appartenu à ceux qui l’exploitent, mais à ceux qui l’écoutent les yeux fermés ; là où tout recommence.