Vingt ans après sa sortie, Takk…, l’un des sommets de la discographie de Sigur Rós, renaît sous les auspices d’une réédition remasterisée luxueuse. Coffret collector, nouveaux inédits, remaster haute définition. Cette édition anniversaire veut raviver les émotions d’un album devenu mythique
Cet article explore Takk… (20th Anniversary Remaster) en quatre temps : d’abord, un retour sur l’album original et son impact ; puis les choix du coffret et des raretés ; ensuite le travail technique du remaster et ce qu’il révèle ; enfin, la manière dont ce nouveau visage s’inscrit dans le récit actuel de Sigur Rós et du post-rock mondial. L’enjeu est simple, faire résonner avec pertinence ce classique réinventé…
Takk… entre émergence et maturité
En 2005, Takk… apparaît comme une bascule : moins expérimental que les premiers disques, plus ambitieux que les suivants. L’album combine paysage sonore et mélodie, portés par des titres devenus emblématiques : Glósóli, Hoppípolla, Sæglópur. Dans une interview avec Pitchfork quelques mois après la sortie, le claviériste Kjartan Sveinsson expliquait que le mot « takk » signifie « merci » (en Polonais), et affirmait : « Nous sommes reconnaissants pour ce que nous avons pu accomplir et pour la reconnaissance que nous recevons ». Cet album a été conçu comme une offrande, un paysage émotionnel rendu accessible par des mélodies simples mais puissantes. Avec cet album, Sigur Rós atteint un équilibre, l’auditeur est transporté, mais jamais perdu. Le groupe invite à l’immersion, jamais à l’ésotérisme absolu. Le disque se diffuse dans les médias, les bandes-son de documentaires, et des moments de cinéma.
L’édition anniversaire : coffret, raretés et surprises. Pour son 20ᵉ anniversaire, Takk… revient sous plusieurs formes : CD, coffret vinyle 5 × 10″ limité à 3000 exemplaires, éditions 3 × 12″, et versions numériques haute qualité. Le coffret 5 × 10″ est pensé comme un objet de collection : rare, luxueux, destiné aux amateurs qui aiment que la forme amplifie l’expérience. Mais l’agrément le plus troublant se cache dans les pistes bonus. Les deux inédits Melrakki et Elfur paraissent enfin dans une édition officielle. À cela s’ajoutent trois faces B remasterisées : Refur, Ó Friður et Kafari – issus de l’EP Sæglópur (2006) – qui prolongent le récit sonore de l’ère Takk… sans le dénaturer. De plus, le projet inclut un mix spatial en Dolby Atmos pour la version numérique, cette multiplicité de versions (classique, immersive, objet de collection) interroge sur l’équilibre entre passion pure et stratégie éditoriale. Le pari ? Satisfaire l’audiophile autant que le fan nostalgique.
« Mílanó is especially long. it is kind of more like a jam session or something. or you know… an organised jam session. » — Jónsi
L’art du remaster : ce que révèle la lumière retrouvée
L’essence de cette édition tient dans le remaster. Le rôle de Ted Jensen est central : son travail réduit les impuretés, affine les contrastes, fait respirer les silences. Qu’est-ce qu’un bon remaster dans ce contexte ? Ce n’est pas forcer la puissance ou écraser la dynamique, mais rendre justice à la texture originale. L’idée est que les guitares frottées, les lignes d’archet, la voix aérienne de Jónsi ou ses chuchotements microtonaux retrouvent une présence plus « palpables » sans sacrifier l’espace. Les retours d’auditeurs louent la « beauté » apportée aux pistes rares, et la dimension nouvelle que portent les inédits dans le continuum Takk… D’autres restent attachés à l’empreinte d’origine, considérant que le charme du disque tenait parfois dans ses imperfections. Ce débat, authenticité vs amélioration, est inhérent à toute réédition audacieuse.
Mémoire vivante : héritage, influence et résonance aujourd’hui. Quel sens donner aujourd’hui à Takk… ? Quand on revisite ce disque en 2025, l’écoute est teintée non seulement par la nostalgie, mais aussi par l’évolution du paysage musical : l’abondance de l’ambient, les explorations spatiales, les croisements électro/classique. Sigur Rós n’est plus un groupe underground, et pourtant, le geste de réédition rappelle que leur art repose avant tout sur l’émotion brute. En remettant Takk… sur le devant de la scène, le groupe ajoute une ligne précieuse dans sa discographie, celle qui unit intensité, musicalité et ouverture. Pour les fans, cette réédition est une invitation à redécouvrir des territoires auditifs oubliés. Pour les néophytes, c’est une porte d’entrée vers un catalogue grandiose. La version 2025 de Takk… est moins une nostalgie qu’un souffle renouvelé. Elle convoque le passé sans l’emprisonner, et résonne avec le présent plutôt que de s’y attarder. Pour l’auditeur qui tend l’oreille, elle offre un nouveau frisson.
