Avec In holiday clothing, out of the great darkness, son quatrième album solo paru le 17 octobre 2025 (130701 – FatCat Records), Clarice Jensen poursuit son dialogue entre ombre et clarté. Un disque de solitude habitée, où le violoncelle retrouve son timbre plein, son grain, sa respiration, comme un être revenu à lui-même après le tumulte
Ce qui s’avance, paré de lumière… Repliée dans les monts Berkshire, loin du flux new-yorkais, la compositrice et violoncelliste Clarice Jensen explore ce que signifie encore jouer seule. À travers ce disque inspiré par Rilke et par Bach, entre musique classique et contemporaine, elle sculpte un espace d’écoute lent, où le violoncelle dialogue avec des effets parcimonieux : delay, tremolo, octave. Chaque pièce semble naître de la nuit pour s’ouvrir à la lumière. Une déclaration sensible sur la solitude, la mémoire et la matière sonore…
Retour à la source du violoncelle

Après Esthesis (2022), album plus électronique et synthétique, Jensen renoue ici avec la chair de son instrument. L’acoustique domine, magnifiée par une retenue expressive. « It felt necessary to return to the rich acoustic sound of the cello… » explique-t-elle.
Cette épure n’est pas nostalgique : elle agit comme un recentrage. Le violoncelle devient à la fois centre de gravité et espace de résonance, instrument-monde. Enregistré au Studio Richter Mahr, en Oxfordshire, le disque déploie une attention presque méditative : chaque vibration trouve son propre silence, chaque note s’élève comme un souffle.
La composition se construit sur des couches : drones, boucles, répétitions fines. Jensen empile ses lignes jusqu’à créer l’illusion d’un ensemble, d’une polyphonie intérieure. Comme le souligne A Closer Listen, « le titre-track, en deux parties, évoque l’univers de Bach tout en s’en éloignant, les lignes se croisent, s’étirent, s’empilent, produisant une profondeur quasi orchestrale. » L’écoute s’enfonce dans une matière lente, quasi hallucinée, où le mouvement n’est pas celui du rythme mais de la résonance. Le son, parfois, semble se voir. Il se dilate, se retire, revient. Un travail de perception plus que de démonstration.
“It felt necessary to return to the rich acoustic sound of the cello that I’ve loved and produced for nearly my entire life, and to return to an expression of emotion that’s multi-dimensional and sincere.” – Clarice Jensen
Solitude et émergence

Le titre du disque, tiré d’une phrase de Rilke : “…what steps forth, in holiday clothing, out of the great darkness.” , décrit parfaitement la trajectoire de cette musique. L’artiste, installée depuis 2020 dans les montagnes de Berkshire, transforme la solitude en champ d’éclosion. Elle écrit que cette image d’un son qui « émerge de la grande obscurité » lui semblait depuis longtemps tangible : un portrait du processus créatif. L’obscurité, ici, n’est pas un vide ; elle est la matrice où l’œuvre s’invente. La lumière, le vêtement de fête. Tradition réinventée ? Clarice Jensen cite Bach comme son ancrage : ses Suites pour violoncelle seul, qu’elle joue depuis des années, incarnent pour elle la multiplicité à partir d’un seul instrument.
Mais là où Bach se voulait structuré, Jensen cherche la porosité. Elle intègre subtilement l’électronique à la tradition instrumentale, « une nouvelle pratique du violoncelle solo » qui refuse l’opposition entre technologie et émotion. Cette hybridité, entre héritage et modernité, fait la force du disque : ni minimaliste, ni baroque, mais plein de nuances intermédiaires, celles qu’on trouve dans la respiration du bois et la patience du son. Le disque avance lentement, sans emphase, porté par la conviction qu’un son juste suffit à dire beaucoup. Clarice Jensen offre ici un disque d’élévation tranquille : un art du dépouillement et du retour, qui rappelle que, parfois, la fête naît dans le silence.