Enfoui depuis près de quarante ans dans les archives de Crammed Discs, The Lost Album de Maurice Poto Doudongo ressurgit comme une capsule temporelle, suspendue entre Kinshasa et Bruxelles, entre la ferveur d’un groove africain et la mélancolie d’une pop électronique artisanale ; ce disque de 1987 ravive une époque où les musiques se rencontraient sans hiérarchie, avec l’innocence du bricolage et l’audace du futur
Enfoui depuis 1987 dans les archives de Crammed Discs, et sorti le 31 octobre 2025 aux Editions de Lux / Crammed Discs,The Lost Album de Maurice Poto Doudongo refait surface comme un fragment miraculeusement intact des marges afro-électroniques bruxelloises. Entre drum machines analogiques, funk bricolé et synth-pop rêveuse, le musicien congolais y tisse un pont singulier entre Kinshasa et l’Europe, entre ferveur et mélancolie. Restauré à partir de cassettes et publié en édition limitée, ce disque oublié révèle un artiste pour qui la musique n’avait, et n’a toujours, aucune frontière…
Lignes de fuite africaines

À la fin des années 1980, Bruxelles bruissait d’un cosmopolitisme discret. Entre le post-punk, la pop synthétique et les échos de la diaspora congolaise, Maurice Poto Doudongo, né à Kinshasa, inventait sa propre géographie sonore. Autodidacte et féru de Prince et de Fela, il enregistrait ses morceaux sur des quatre-pistes empruntés, percutant des cartons pour faire naître des rythmes. Ce geste-là, frugal, sincère, condense tout l’esprit du disque : celui d’une liberté née de la contrainte.
Pop spectrale et rythmes bricolés : la production, à la fois fragile et visionnaire, rappelle l’épure de Wally Badarou (Echoes) ou certaines utopies synthétiques d’un Thomas Leer. The Lost Album n’appartient pourtant à aucun courant : c’est un archipel. Bolingo, seul titre paru à l’époque sur une compilation de Crammed Discs, donne le ton : pulsation afro-electronica, basse chaloupée et voix presque murmurée. Plus loin, Momo flotte comme une rêverie Balearic avant l’heure, tandis que Passport Train évoque une transe futuriste, entre R&B mutant et funk digital.
« Music has no frontier. You take what you like. Prince, Fela, Papa Wemba – there is no contradiction. It’s all part of the sound. » – Maurice Poto Doudongo
Une mémoire réparée

Marc Hollander, fondateur de Crammed, se souvient : « L’album n’a jamais été complètement terminé… il est resté sur les étagères pendant des décennies jusqu’à ce que nous rouvrions les archives. » Restauré à partir de cassettes et de bandes 24 pistes, le disque s’écoute aujourd’hui comme un journal sonore, vibrant d’une énergie contenue. Maurice parle de ces sessions comme d’« un courant impossible à arrêter ». Sa musique, intuitive et poreuse, témoigne d’une écoute du monde avant toute chose — comme si les sons passaient d’abord par le cœur avant d’atteindre la machine.
Le souffle retrouvé : The Lost Album n’est pas une réédition au sens strict. C’est un retour d’âme. Une respiration qui traverse quatre décennies, reliant un jeune rêveur de Kinshasa devenu arrangeur en Belgique à son double resté dans les bandes magnétiques. Ce disque, par-delà le temps et les formats, nous rappelle qu’il n’y a pas de “musiques du monde”, seulement des mondes qui se rencontrent par la musique. Et soudain, ce qui avait disparu ne semble plus si loin ; juste à la bonne distance pour écouter autrement, en édition vinyle limité à à 500 exemplaires, avec livret et photographies inédites.


