Paru le 10 novembre 2023, l’album Silencio de Moritz von Oswald conceptualise les interactions entre voix humaines et synthétiques
Peu de producteurs ont eu autant d’impact sur la techno que Moritz von Oswald, aka Maurizio. Cofondateur de l’éphémère, mais très influent, label techno Basic Channel dans les années 1990, ainsi que des labels Chain Reaction et Rhythm and Sound qui ont suivi, von Oswald a su forger un son qui a fait entrer la musique électronique dans l’âge adulte, bien au-delà des dancefloors. Avec ce nouvel album, Silencio, Moritz von Oswald sublime ses inspirations…
Silencio par Moritz von Oswald
Que faire des querelles d’appréciations sur les différences et les similitudes entre les sons humains et artificiels ? Entre les oscillations générées par des cordes vocales ou des voix de synthétiseurs ? Vous pouvez bien en faire ce que vous voulez mais, à Houz-Motik, si l’on devait donner un conseil, ce serait surtout de ne prendre en compte que le plaisir auditif et sensoriel… Avec Silencio, son dernier album pour Tresor Records, Moritz von Oswald a travaillé avec un chœur de 16 voix, en mode exploration du concept. Il s’est également inspiré des œuvres d’ensemble d’Edgard Varèse, de György Ligeti ou encore de Iannis Xenakis, inspirateurs de longue date du musicien. Ecouter ce disque, c’est plonger dans l’espace temps, dans l’espace entre les sons, dans les ambiances texturées qui oscillent entre le léger, l’éthéré, le sombre et le dissonant.
Ses premiers travaux l’ont très bien démontré, la répétition ainsi que la réduction sont des éléments clés dans la tradition de la techno minimale. Ici, la dynamisme des voix humaines ajoute une profondeur à l’électronique, offrant alors une riche palette de sonorités alors inexplorées dans son répertoire. Dans Silencio, l’artiste peint un mur d’eau et tire des nuages au rythme d’une pulsation lointaine, suspendue, prête à prendre de nouvelles formes à chaque instant. Les compositions ont été écrites dans le studio berlinois de von Oswald sur des synthétiseurs classiques, tels que l’EMS VCS3 & AKS, le Prophet V, l’Oberheim 4-Voice et le Moog Model 15. Ces enregistrements abstraits ont été transcrits en partition pour chœur par le compositeur et pianiste finlandais basé à Berlin, Jarkko Riihimäki, et interprétés par Vocalconsort Berlin dans l’église d’Ölberg, dans le quartier de Kreuzberg, à quelques mètres seulement de l’endroit où Dubplates & Mastering et Hard Wax ont ouvert leurs portes aux passionnés de musique pendant de longues années.
Silencio par Moritz von Oswald
Les enregistrements des versions chorales ont ensuite été incorporés dans les parties synthétisées de l’album, et placées dans un nouveau contexte électronique. L’objectif n’étant pas d’utiliser un moyen pour imiter l’autre, mais faire se rencontrer sur le plan sonore des tensions et des harmonies entre ces mondes afin de créer un dialogue musical. La relation entre von Oswald et Tresor Records n’est pas nouvelle… Elle remonte déjà à trente ans, jusqu’à Dream Sequence (1991) de Blake Baxter – que von Oswald a réalisé aux côtés de Thomas Fehlmann. Cette collaboration s’est d’ailleurs poursuivie, le duo s’associant sous le nom de 3MB avec les illustres Eddie Fowlkes et Juan Atkins. Plus récemment, la connexion Detroit-Berlin s’est poursuivie, Juan Atkins & Moritz von Oswald ont présenté Borderland. Pour von Oswald, Tresor Records et les musiciens du chœur, ce nouvel album permet une « pollinisation croisée ».
L’approche de von Oswald reste unique, le musicien écrit ses morceaux sur des synthétiseurs classiques, puis les transcrit (par l’intermédiaire du compositeur Jarkko Riihimäki) pour le chœur et les réintègre dans les morceaux. Un processus pas aussi simple et direct qu’il n’y paraît, le chœur semble par moments s’éloigner, et les voix viennent à nouveau se frotter à la sensation « papier de verre » des synthétiseurs. Silencio s’impose alors comme un disque au-delà des frontières et des genres musicaux, comme si von Oswald avait ouvert un portail interdimensionnel : l’album prend son temps pour dévoiler son architecture, déroulant ses détails nuancés au rythme des répétitions, ouvrant le spectre de lignes plus audacieuses, boucles après boucles…