Dans Sonata for Solo Cello: Joanna’s Tale, Dobrawa Czocher fait vibrer un unique violoncelle pour raconter l’intime et le collectif, la guerre et le rêve, le poids de l’Histoire et le souffle fragile des utopies personnelles
Avec Sonata for Solo Cello: Joanna’s Tale, Dobrawa Czocher signe une œuvre charnière qui la ramène à ses racines classiques tout en continuant de chercher une voix singulière, entre Schumann, Schnittke et Steve Reich. Créée pour une commande du Musée de l’Insurrection de Varsovie, pour les 80 ans de l’événement, cette pièce se prolonge dans l’opéra D’arc où la musicienne incarne, joue et interprète ce qui reste de nos rêves quand le monde bascule. Cette sonate explore l’âme d’une musicienne confrontée à la guerre et à la perte, mais aussi à l’espoir persistant. Entre Paris 2024, Varsovie 1944 et Rouen 1429, la musique devient territoire de mémoire, de résistance et de réinvention de soi. Perspectives : l’œuvre ouvre un espace pour réfléchir à la place des femmes en temps de guerre, au rôle de la musique dans la mémoire collective, et à l’avenir d’un art qui reste vivant dans le tumulte…
Rêver sous les ruines

Dans le premier mouvement de la Sonata for Solo Cello, Czocher trace une ligne mélodique comme un pas dans la neige : léger mais décisif. On y sent les aspirations de Joanna, ce personnage de jeune violoncelliste qu’elle incarne dans D’arc, prête à embrasser la scène mondiale. C’est l’éveil d’un rêve avant que la violence n’y mette son ombre. Les pizzicati se glissent entre des motifs résonnants, une respiration volontairement fragile, comme ces instants avant le basculement, où le monde est encore ouvert.
Le deuxième mouvement plonge dans l’enfermement. Les notes deviennent plus lourdes, les silences s’élargissent, les harmoniques grincent parfois comme un escalier de cave humide. On y entend le fracas des chars, les cris qui n’ont pas le temps de naître. Sans effets superflus, le violoncelle de Czocher porte le chaos, non dans la violence immédiate, mais dans la peur quotidienne et le deuil étouffé. Comme dans Varsovie en 1944, le rêve de Joanna se heurte au réel, et le son devient refuge autant que cri.
« Some of my colleagues think suffering is the best factor for creating. This is very different for me. » — Dobrawa Czocher
Parfois, un seul archet suffit à résister
Le troisième mouvement ne bascule pas dans l’héroïsme creux. Il explore le quotidien d’une ville détruite, le café pris en hâte, les regards échangés, la force de rester debout. Les motifs répétitifs, dans un esprit proche de Steve Reich, deviennent des mantras intérieurs. Il y a de la lumière, même fragile. Ce n’est pas une lumière de victoire, mais celle d’un matin qui revient, d’un enfant qui rit, d’un archet qui se pose à nouveau sur les cordes malgré tout. Dans D’arc, cette partie accompagne Joanna, Joan et Giovanna dans leur passage d’une époque à l’autre, d’une guerre à une autre, d’un rêve à un autre.
Si l’on entend dans cette sonate l’écho de Schumann ou Schnittke, c’est qu’elle porte une sincérité sans fard, loin du spectaculaire. Le choix du violoncelle seul, sans ornement ni décor, devient une forme d’épure qui laisse l’auditeur face à ses propres images. Cette Sonata for Solo Cello: Joanna’s Tale n’est pas un simple hommage historique ; c’est une exploration de la manière dont une musicienne peut porter l’histoire à travers ses cordes, comment une note peut devenir un acte de mémoire. Dans cette œuvre, Czocher se place là où l’intime et le collectif se rencontrent, et là où le rêve reste possible, même quand il se cogne au fracas du monde. Dans cette sonate comme dans D’arc, Dobrawa Czocher prouve qu’il est encore possible de raconter le monde autrement, une note à la fois, en trouvant une justesse qui dépasse les époques.
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