Quand la pandémie a rapetissé le monde, Steven Lugerner a choisi d’ouvrir les fenêtres de son âme. Le multi-instrumentiste présente Urban Crawl, une carte postale vivante et poétique de San Francisco ; un disque qui capte la beauté de la ville au-delà des clichés
Avec Urban Crawl, paru le 20 juin 2025 chez Slow & Steady Records, Steven Lugerner et son SLUGish Ensemble poursuivent l’exploration entamée sur In Solitude. Exit le repli, place à la marche, aux horizons, aux arrêts devant les câbles du tram et les reflets de Grace Cathedral. Dans un jazz patient et lumineux, Lugerner signe un album de lieux et d’instants qui parle aussi d’une ville souvent stigmatisée, San Francisco, qu’il choisit d’aimer malgré tout. Une écoute qui apaise et interroge, et qui donne envie, soi-même, de marcher. Avec ce disque, on se surprend à réapprendre à regarder nos villes avec gratitude, à écouter nos pas, et à y entendre le chant discret de la beauté…
Un jazz qui marche

Il y a des disques qui courent, d’autres qui dansent. Urban Crawl marche, et c’est toute sa force. Les titres portent les intersections de San Francisco – Taylor & Broadway, Washington & Taylor, California & Fillmore – comme s’il s’agissait d’anti-cartes postales sensibles, là où le jazz devient carnet de terrain. Les compositions ont pris naissance sur Nob Hill, là où Lugerner, sorti du cocon pandémique de Miraloma, a retrouvé la densité de la ville, le bruit de ses pas sur l’asphalte, la caresse de l’air frais du matin et la lente étreinte des brumes. Ce disque, c’est un jazz de trottoir, qui regarde le ciel.
Ce qui frappe d’emblée, c’est la voix grave et charnelle de la bass clarinet de Lugerner, choisie comme unique compagne de vent pour cet album. Fini les allers-retours entre sax et flûte, il reste ce souffle sombre et ample, presque organique, qui donne au disque son humanité profonde. “Avec la bass clarinet, je ressentais une liberté et un lien plus direct à ma formation classique”, confie-t-il, signe que le confinement aura été pour lui une porte vers un nouveau rapport à l’instrument, et à lui-même. Dans un monde qui se précipitait à reprendre “comme avant”, Lugerner a choisi de respirer autrement.
“San Francisco gets such a bad rap. Maybe what I’m trying to describe is a more macro view of the city.” – Steven Lugerner
Un groupe qui vit avec sa ville

Urban Crawl n’est pas qu’une carte de visite de Lugerner, c’est aussi un portrait collectif de la scène Bay Area. Le pianiste Colin Hogan et le claviériste Ian McArdle insufflent leurs textures vivantes sur des partitions volontairement épurées, pendant que Justin Rock (guitare), Michael Mitchell (batterie) et Giulio Xavier Cetto (contrebasse) donnent ce rebond souple, ce groove discret qui propulse la marche. Lugerner voulait un groupe local, à l’image de la ville, et cela s’entend : le disque respire, joue avec les espaces, se nourrit de l’âme des rues et de la lumière sur les collines.
Le dernier titre, Stow Lake Drive, n’est pas un croisement, mais une échappée vers le lac. Avec sa structure circulaire et sa tension douce, il conclut le disque comme un sourire silencieux. Car malgré les clichés sur San Francisco, malgré les articles sur sa décrépitude, Lugerner choisit d’en montrer la beauté, les reflets sur les immeubles, les collines superposées, la lumière qui se faufile entre les façades. “San Francisco gets such a bad rap. Maybe what I’m trying to describe is a more macro view of the city,” dit-il. Cet opus nous offre la possibilité de ralentir et de voir autrement le lieu où l’on vit.
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