LP The Kindest Encounters

The Kindest Encounters de ‘t Geruis, quand les fantômes préfèrent les cassettes

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Dans un monde où les algorithmes traquent nos moindres gestes, il existe encore des artistes qui échappent à la lumière, préférant celle, plus tamisée, d’un après-midi de novembre. Le mystérieux (?) ‘t Geruis revient avec The Kindest Encounters, une offrande ambient sur le label Home Normal, une écoute comme un souvenir qu’on n’aurait pas vécu

Avec ce nouvel album, The Kindest Encounters, ‘t Geruis poursuit une œuvre ambient profondément humaine, texturée et contemplative. Publié sur Home Normal, le disque marque une nouvelle étape dans le parcours d’un artiste rare, suivi par une petite communauté fervente. Entre souffle magnétique, poésie auditive et reflets flous, ce disque s’inscrit dans une ambient artisanale et affective, loin des architectures numériques de masse. Une porte entrouverte sur un autre tempo de vie, une autre attention…

Une brume nommée désir

Dessin 't Geruis
‘t Geruis DR

Certaines musiques surgissent comme des souvenirs. On ne les reconnaît pas immédiatement, mais on les sent familières. Chez ‘t Geruis, ce n’est pas tant une affaire de style que de texture. Ce que l’on entend, c’est le froissement du temps, la lenteur d’un geste, le grain d’une pensée. Chaque piste de The Kindest Encounters semble exhaler un monde passé, comme si elle avait été captée par accident sur une vieille cassette oubliée dans la boîte à gants d’une voiture qui échappe à la casse. Et c’est précisément cette pudeur sonore qui touche, parce qu’elle ne cherche jamais à convaincre.

Home Normal, label qui navigue entre Tokyo et l’Angleterre, a toujours valorisé les imperfections organiques, les aspérités analogiques. L’album s’inscrit dans cette continuité : les saturations discrètes, les résonances floues, les mélodies suspendues… Tout respire. Le travail de ‘t Geruis n’est pas différent de celui d’un artisan passionné : humble, méthodique, sensible. On pense aux cassettes de Chihei Hatakeyama, aux silences de Ian Hawgood ou aux vignettes de Federico Durand. Une musique de chambre intérieure, aux murs couverts d’une fine mousse.

“La musique peut faire au corps ce que les mots ne savent pas faire à l’âme.” — Anonyme

L’image d’un autre monde

L’album est aussi un objet visuel. Le flou photographique de la pochette — reflet sur l’eau, hors-champ aqueux — prolonge la musique comme un écho. Ici, l’image n’est pas décorative : elle est complémentaire. Elle nous dit ce que le son ne dit pas tout à fait. Elle nous montre que ce disque n’est pas une proclamation, ni un projet de carrière, mais une offrande fragile, ébranlée. Presque comme si l’artiste nous prêtait ses oreilles pour une saison.

L’anti-algorithme ? À l’heure où la majorité des productions ambient lorgnent vers la relaxation formatée ou les playlists “focus”, la proposition de ‘t Geruis prend un contre-pied salutaire. Elle ne cherche ni performance ni diffusion maximale. Elle ne veut pas plaire à tout prix. Elle est. Et dans cette posture, il y a une forme de résistance douce, poétique et presque politique. Ce genre d’album, on ne le « stream » pas distraitement : on l’écoute, ou on le rate… Dans ce monde trop net, trop rapide, il faut des œuvres comme celle-ci. Des œuvres floues, lentes, humaines. The Kindest Encounters ne crie pas, ne revendique rien, mais il accompagne, il console. C’est déjà beaucoup.

Buy Me A Coffee

Antoine Brettman est un bricoleur d'images et de sons... Son travail s'inscrit dans le courant de l’art vidéo par la réappropriation d'œuvres audiovisuelles, où il exploite la virtualité des images afin de confronter au monde réel son recyclage d'histoires.

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