Réédité par International Anthem en novembre 2025, To Cy & Lee – Instrumentals Vol. 1 s’impose comme l’un des plus beaux gestes de calme du catalogue. Un disque sans mots, presque sans ego, où la mélodie devient conversation, prière ou caresse ; rien n’y force l’écoute, tout y respire
Conçu entre 2012 et 2019, enrichi de deux inédits récents, l’album rassemble les instrumentaux épars de Alabaster DePlume, saxophoniste, poète et compositeur dont les performances étaient jusque-là marquées par la parole. Dans ce recueil né entre Manchester, Bristol et Londres, Alabaster DePlume assemble des fragments d’années passées, et en fait un paysage d’apaisement. En les réunissant, il offre une version nue de son univers, plus contemplative, plus intérieure. Ces treize pièces redessinent le jazz en douceur, loin de la virtuosité, proche du cœur. Une musique à hauteur d’âme…
Genèse d’une quiétude
To Cy & Lee est d’abord une histoire de rencontre. Cy et Lee, deux musiciens vivant avec un handicap à Manchester, improvisaient régulièrement avec DePlume dans le cadre de l’association Ordinary Lifestyles. De ces moments sont nées des mélodies simples, des gestes de présence. En 2020, International Anthem, label chicagoan féru de liberté formelle, en publia la première édition. Cinq ans plus tard, la réédition IA11 vient célébrer cet album devenu culte, un disque qu’on écoute autant qu’on respire.
La lenteur comme art. Ici, tout se joue dans le peu : un motif répété, un souffle suspendu, un violoncelle qui se pose comme un mot juste. Les arrangements, sobres, fragiles, évitent la démonstration. Le saxophone ne domine pas, il accompagne. Autour de lui, flûtes, m’bira, violons et clavinette esquissent un langage commun. Entre jazz éthiopien, folk japonais et minimalisme européen, l’album glisse sans effort d’une émotion à l’autre. Un critique anglais le résumait ainsi : « Desperate and tranquil at once », désespéré et tranquille tout à la fois. C’est exactement cela, un paradoxe qui apaise.
« We made these things to help each other be calm ». – Alabaster DePlume
Un disque-collage, un souffle collectif
Alabaster DePlume DR
Les morceaux proviennent de plusieurs périodes : Copernicus (2012), The Jester (2013), Peach (2015), et deux titres enregistrés en 2019 au Total Refreshment Centre. Le collectif qui l’entoure est dense, Ríoghnach Connolly, Danalogue (du Comet Is Coming), Sarathy Korwar, Hannah Miller, Paddy Steer, entre autres. Une communauté plutôt qu’un groupe, fidèle à l’esprit DIY et convivial du TRC londonien. Techniquement, tout est pensé comme un tissage, des fragments analogiques restaurés, des cordes ajoutées, des percussions sobres. La musique reste organique, sans filtre.
Héritage et prolongement. Cette collection d’instrumentaux a révélé un autre DePlume, moins orateur, plus guérisseur. Le disque prépare le terrain pour GOLD (2022) et ses futurs projets, où la foi dans l’humain remplace la posture du poète. Dans un monde saturé de sons et d’opinions, To Cy & Lee agit comme un contre-champ, un espace de soin. Il n’y a ni manifeste ni morale, seulement cette promesse : que la musique peut suffire. To Cy & Lee – Instrumentals Vol. 1 n’est pas un album à « écouter », c’est un lieu où l’on entre. Un havre d’air et de sincérité, où le silence devient mélodie. En le rééditant, International Anthem nous rappelle que certaines musiques n’ont pas besoin d’être neuves pour être nécessaires, il suffit qu’elles continuent de respirer.